N°19 / Voix sur les ondes : enquêtes orales et témoignages dans le reportage radiophonique (XXe-XXIe siècles)

Une offrande pour apaiser nos tourments, la série documentaire "Rwanda 1999 : revivre à tout prix", de Madeleine Mukamabano

Aurélia Kalisky

Résumé

En 1999 est diffusé à la radio française la série documentaire Rwanda 1999 : revivre à tout prix, de la journaliste d’origine rwandaise Madeleine Mukamabano. Cette enquête radiophonique réalisée en 1998 donne la parole aux Rwandais quatre ans après le génocide des Tutsi. Elle est le fruit d’entretiens menés avec des rescapés et des tueurs, majoritairement des paysans, mais aussi des intellectuels rwandais et des exilés tutsi de retour d’exil après 1994. Elle offre une sorte de panorama polyphonique sur l’événement génocidaire, sa généalogie et ses conséquences, en entrelaçant les témoignages des rescapés, les propos des tueurs et les réflexions des chercheurs. L’article se propose d’analyser la façon dont la journaliste exilée, en position de tiers mais partageant la langue, la culture et une partie de l’expérience de la persécution de ses interlocuteurs, crée un espace de parole où peuvent dialoguer différents sujets individuels et collectifs en vue d’ouvrir des voies de compréhension pour l’auditeur occidental. Cette œuvre multidimensionnelle, à la fois atypique et représentative des premiers savoirs sur le génocide des Tutsi, est à resituer dans une histoire décolonisée des savoirs.

Abstract

In 1999, French radio broadcast the documentary series Rwanda 1999: revivre à tout prix by Rwandan-born journalist Madeleine Mukamabano. In five episodes recorded in 1998, this radio investigation gives voice to Rwandans four years after the genocide against the Tutsi. It is the result of interviews with survivors and murderers, mainly peasants, but also Rwandan intellectuals and Tutsi exiles who returned from exile after 1994. It offers a kind of polyphonic panorama of the genocide, its genealogy, and its aftermath, interweaving the testimonies of survivors, the words of killers, and the reflections of researchers. The article analyzes how the exiled journalist, in a third position but sharing the language, culture, and part of the experience of persecution of her interlocutors, creates a space for dialogue between different individual and collective subjects in order to open avenues of understanding for the Western listener. This multidimensional work, at once atypical and representative of early knowledge of the Tutsi genocide, should be seen in the context of a decolonized history of knowledge.

Keywords: radio investigation; Tutsi genocide; genocide testimonies; decolonization of knowledge

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Le bruit des marais, la nuit. Insectes et grenouilles chantent. Un chœur de voix d’hommes en kinyarwanda s’élève, menaçant, accompagné de bruits qui rappellent le tonnerre ou des explosions lointaines. Puis on entend la voix d’un homme qui parle, seul, accompagnée de sa traduction simultanée, chuchotée en français par une voix féminine :

 

Nous voici réunis

Nous avons chassé de nos cœurs la tristesse et la rancœur

À tous nos parents

À nos milliers de jeunes dont la vie a été écourtée 

À tous les nourrissons qui dans leur innocence souriaient à la vue des machettes

À vous tous, voici nos offrandes pour apaiser vos tourments

Voici le bétail qui ramènera la prospérité au Rwanda

Voici les semences qui feront refleurir le Rwanda

On est resté sourd à votre détresse

Vous n’avez pas eu de bain rituel ni de sépulture

On vous a abandonné aux chiens et aux vautours

Acceptez ces offrandes et retrouvez la sérénité

Protégez-nous de nos ennemis, et que la clameur de notre victoire sur la mort

Ne trouble jamais votre précaire repos

 

Ce poème sous forme d’oraison funèbre pour les morts du génocide des Tutsi[1] a été écrit puis enregistré par la journaliste d’origine rwandaise Madeleine Mukamabano au printemps 1998 au Rwanda, quatre ans après le génocide qui débutait en avril 1994. Intitulé Rwanda 1999 : revivre à tout prix, ce documentaire radio de plus de six heures réalisé avec la collaboration du réalisateur radio Mehdi El Hadj (assisté par Rafik Zénine) pour France Culture, obtient en 2000 le prix Bayeux des correspondants de guerre. Il est le fruit d’entretiens menés au Rwanda avec des rescapés et des tueurs, des intellectuels – historiens, chercheurs en sciences sociales, thérapeutes, journalistes – des exilés tutsi de retour d’Ouganda ou du Burundi après 1994, ou encore des Hutu emprisonnés ayant participé à la propagande anti-tutsi, tous contraints de revivre ensemble. La parole de ceux qui sont traumatisés par ce qu’ils ont subi se mêle à celle de ceux qui ne semblent pas traumatisés par ce qu’ils ont fait. Car dans les propos des tueurs, à quelques exceptions près, on entend surtout s’exprimer le déni, un déni dans lequel la négation des faits peut coexister avec des formes d’indifférence troublante.

La présence de ce poème qui ouvre tous les épisodes, accompagné à chaque fois d’un fond sonore différent (mêlant la pluie, le chant des grenouilles, le bruit de pas dans l’herbe), est représentative d’une œuvre documentaire qui fait à la fois œuvre de connaissance et de deuil[2]. En essayant de faire comprendre la généalogie de la pensée ethniciste et de la violence génocidaire, nées de décennies d’impunité au Rwanda, puis de dresser une sorte de portrait de la société rwandaise de l’immédiat après-coup de l’événement, Rwanda 1999 est tout autant placé sous le signe du deuil et de la transmission. Cette transmission est rendue possible par une configuration particulière indissociable de la personne même de Madeleine Mukamabano. En tant qu’intellectuelle rwandaise partageant la langue et la culture de ses interlocuteurs, mais aussi en tant qu’exilée venue de France pour enregistrer une parole en vue de la transmettre là-bas, elle crée un espace de parole singulier où peuvent dialoguer – ou se confronter – différents sujets individuels et collectifs : le « nous » des rescapés qui tente de comprendre et de transmettre ce qu’ils ont vécu est mis face au « nous » de tueurs qui ne semblent pas en mesure de comprendre leur crime. Les différentes figures de tiers – de la journaliste, de l’intellectuelle en diaspora, de différents chercheurs avec lesquels elle dialogue – tentent d’ouvrir des voies de compréhension pour le « nous » français et occidental des auditeurs.

Beaucoup des œuvres issues du génocide de 1994 ont été commentées et analysées depuis les années 2000, qu’il s’agisse d’œuvres testimoniales et/ou théâtrales produites par des rescapés – parfois à quatre mains avec des tiers occidentaux –, de recueils de témoignages collectés et publiés par des tiers, ou encore d’œuvres écrites directement par des tiers africains non-Rwandais, comme le corpus issu de l’initiative « Fest Africa, écrire par devoir de mémoire[3] ». Pourtant, si l’on excepte les réactions de la presse suite à l’attribution du prix qui l’a récompensé, le documentaire de Madeleine Mukamabano n’a pas suscité de travaux jusqu’ici, ni dans le champ des études littéraires, ni dans ceux des études sur les médias ou sur les formes de la mémoire et des savoirs issus du génocide des Tutsi. Son invisibilisation est due en partie au statut marginal des œuvres radiophoniques aux yeux de la critique. Mais le peu d’écho qu’elle a suscité soulève peut-être une autre question : celle de la marginalisation d’une œuvre qui s’inscrit dans l’histoire de la mémoire et des savoirs sur l’événement sans impliquer de tiers occidental. Dans l’article qu’on va lire, je me propose donc d’explorer différents aspects de cette œuvre multidimensionnelle, représentative de ces premiers savoirs sur le génocide des Tutsi qui, n’étant pas le fait de chercheurs ou d’auteurs occidentaux, sont essentiels pour écrire une histoire décolonisée des savoirs.

1. Une intellectuelle en diaspora en position de tiers

 

Journaliste d’origine rwandaise, Madeleine Mukamabano est arrivée en France en 1973 après avoir passé sa jeunesse au Rwanda, puis cinq ans en exil en Ouganda. Son exil avait fait suite aux grands massacres génocidaires dont les Tutsi furent victimes en 1963-64, et au cours desquels ses parents ont été assassinés[4]. En Ouganda, elle débute des études en sciences sociales à la célèbre Université de Makéréré où elle se politise, notamment sous l’influence d’enseignants comme Walter Rodney. Une fois en France, elle reprend des études de lettres et passe d’abord par la presse écrite, dans un journal fondé par des journalistes dissidents de l’équipe de Jeune Afrique, puis débute à la radio à France Culture, où elle participe régulièrement à partir de 1983 au magazine quotidien Panorama en tant que spécialiste du monde africain. Bientôt, elle devient productrice et animatrice d’émissions sur France Culture comme Antipodes (une émission consacrée aux littératures francophones antillaises que Mukamabano élargit à l’ensemble des littératures francophones), et d’une émission consacrée à l’analyse de l’actualité internationale et de questions géopolitiques (successivement appelée Place des Peuples, L’International. Tout monde, Suds, La Société des Nations). Parallèlement, elle réalise de nombreux reportages. Elle intervient à la fois sur des sujets politiques et des sujets de sociétés concernant le continent africain, sur la vie littéraire africaine, mais aussi sur bien d’autres sujets, dans des émissions cultes des amoureux de la radio comme Les Décraqués, Tire ta langue, La Suite dans les idées. Parallèlement, elle est journaliste statutaire à RFI où elle crée l’émission Échos d’Afrique, bientôt renommée Le Débat africain, qui fera référence dans toute l’Afrique francophone, et qu’elle anime jusqu’en 2010. Elle y traite des sujets de politique et de société africaines, mais l’émission s’intéresse à l’ensemble des dynamiques politiques et des relations internationales en tentant de décentrer le regard occidental vers une perspective des pays du Sud global. Mukamabano y reçoit des hommes politiques – presque tous les chefs d’État africains passeront par son émission –, des opposants aux régimes des pays qui font l’actualité, des militants des droits humains, des artistes et des chercheurs pour analyser les situations et éclairer les contextes à destination des auditeurs français et francophones. Une des caractéristiques de l’émission est de mettre l’accent sur l’analyse des contextes historiques, culturels et politiques en vue de donner des clés de compréhension de l’actualité et des faits.

Si l’on veut se faire une idée de l’ampleur extraordinaire de la carrière radiophonique qui fut celle de Madeleine Mukamabano, il suffit d’entrer son nom dans le moteur de recherche de l’INAthèque, qui affiche aussitôt pas moins de 1680 fichiers. Il ne s’agit là que des émissions numérisées, auxquelles s’ajoutent par conséquent plusieurs centaines d’interventions et d’émissions non numérisées enregistrées depuis le début des années 1980. La manière dont sont conçues ses émissions révèle une approche ouverte du savoir et une démarche intellectuelle interdisciplinaire : parmi les invités du Débat africain, on compte presque toujours non seulement des hommes politiques, des acteurs de la société civile et des journalistes, mais aussi des sociologues, des anthropologues, des politistes, des historiens et des écrivains. Un autre trait marquant de son engagement journalistique est de donner la parole aux intellectuels africains sur des sujets qui annoncent les évolutions propres aux années 2000 : la mise en cause de la politique humanitaire des pays occidentaux à l’ère du néocolonialisme, la critique de la « gouvernance » des institutions monétaires et économiques internationales, les relations empoisonnées entre la France et l’Afrique à travers la politique africaine de la France. Avec le regard informé qui est le nôtre, nourri des études post- et décoloniales, on est frappé par la richesse des thématiques traitées et l’audace d’émissions qui, dès la fin des années 1980, abordent la question de la faible représentation des intellectuels et des artistes africains, et mettent en question la domination des perspectives occidentales au sein des savoirs et des représentations, en particulier concernant l’Afrique.

Au début des années 1990, Madeleine Mukamabano est rattrapée par l’histoire de son pays. Comme la plupart des Rwandais en exil, la journaliste a beaucoup de membres de sa famille qui se trouvent encore au Rwanda. Considérés comme tutsi par l’idéologie ethniciste, ils sont victimes de persécutions et connaissent une marginalisation politique qui fait d’eux des citoyens de seconde zone depuis 1959 et surtout depuis les premiers grands massacres qui ont suivi l’indépendance en 1962. Au cours de cette période de guerre et de montée de l’extrémisme, le quotidien des exilés est de trembler pour les leurs qui vivent au pays. Vivre en exil, c’est vivre au rythme des nouvelles préoccupantes au sujet de la répression qui s’abat sur les opposants au régime et sur l’ensemble des Tutsi. L’instrumentalisation idéologique de l’ethnisme par le président Juvénal Habyarimana et son entourage n’est certes pas propre au Rwanda, et la démarche de Mukamabano est toujours celle d’un approfondissement de type comparatiste, une mise en perspective de l’actualité politique d’un pays donné à partir d’une approche issue des sciences humaines et sociales. Aussi conçoit-elle des émissions généralistes, consacrées par exemple à l’« Ethnie ou la tribu en question » (en novembre 1989[5]), ou encore à « Tribalisme et démocratie » (novembre 1990[6]) qui élargissent le champ de réflexion à l’ensemble de l’Afrique par-delà la région des Grands Lacs. Mais suite à l’attaque au nord du Rwanda par les troupes du Front Patriotique Rwandais[7] en octobre 1990, elle traite pour la première fois directement le sujet de son pays d’origine dans l’émission d’Antoine Spire Les Voix du silence sur France Culture, avec une discussion intitulée « Comment expliquer les tensions inter-ethniques qui empoisonnent la vie du Rwanda[8] ? ». Sont invités à débattre de la situation des droits de l’homme et de l’écrasement de l’opposition (y compris des Hutu) un représentant du Front Patriotique Rwandais et des membres d’ONG (le président rwandais de la Ligue des droits de l’homme ou et un représentant de la FIDH). Tous les invités insistent sur la nécessité de séparer la question du pluralisme politique au Rwanda de la problématique ethnique. Mais la discussion aborde aussi la question de l’implication de la France et du soutien de l’État français au régime rwandais à travers la critique de l’opération Noroît et du rôle de l’armée française, dont certains officiers sont chargés de la formation des cadres des Forces Armées Rwandaises[9]. Plus tard, en mai 1994, soit en plein génocide, elle consacrera un épisode de l’émission Antipodes sur France Culture à la question de l’ « ethnie » à nouveau selon une perspective surplombante et comparatiste, avec l’anthropologue Claude Meillassoux, l’historien et philosophe éthiopien Kiflé Sélassié et l’historien Gérard Prunier[10].

L’acuité intellectuelle et le professionnalisme de Madeleine Mukamabano lui font adopter une attitude impartiale et aussi objective que possible : en présentant clairement les termes du débat et en faisant dialoguer les perspectives, elle laisse chacun s’exprimer sans apporter son point de vue personnel. S’il peut filtrer à travers ses propos, elle n’entre pas dans une relation polémique et ramène la discussion aux faits et à la démonstration de leur interprétation. Le ton des entretiens avec ses invités demeure calme et posé, même dans des moments où elle mène des entretiens avec des négationnistes ou des génocidaires – comme lors d’une émission au cours de la première semaine du génocide des Tutsi où le cahier des charges de RFI avait imposé de donner la parole à l’ambassadeur du Rwanda en France pour respecter les conditions du débat contradictoire[11]. En ce printemps 1994, la journaliste vit en France depuis déjà plus de quinze ans. Durant les premières semaines de massacres, comme tous les Rwandais de la diaspora opposés au régime en place et vivant en exil, elle assiste impuissante, de loin et donc de façon forcément indirecte et fragmentaire, à l’assassinat de sa famille et de ses amis. Immédiatement après la fin du génocide, elle accompagne des journalistes français au Rwanda : d’abord l’équipe de la Marche du siècle pour l’émission télévisée présentée par Jean-Marie Cavada au mois de juillet 1994, puis Daniel Mermet en 1995 pour la réalisation de plusieurs épisodes de Là-bas si j’y suis consacrés au génocide. Elle sait depuis les toutes premières semaines de massacres que quarante-trois membres de sa famille ont été tués. Sur place, parfois dans les lieux même où les siens ont été assassinés, elle est confrontée à des connaissances, à des amis et à certains membres rescapés de sa famille. Pourtant, les Occidentaux qu’elle accompagne ne mesurent pas les implications de sa situation. Son expérience reste tue : « J’étais l’œil et le regard des autres », m’a-t-elle confié au sujet de ces séjours, « Je ne voulais pas être le sujet, et puis le travail étouffe les émotions »[12]. Même si elle passe en partie sous silence le caractère traumatique de sa position, non seulement cette dernière est passablement ignorée, mais ce sont également ses compétences et le caractère irremplaçable de sa position de Franco-Rwandaise qui semblent ne pas être reconnus à leur juste valeur. C’est elle, pourtant, qui permet aux équipes de journalistes français de se déplacer dans le pays, d’échanger avec des rescapés et d’autres Rwandais, en les mettant en confiance précisément parce qu’elle est « du pays ».

Après les années de l’immédiat après-génocide passées à travailler parfois en tant qu’assistante et experte rwandaise auprès de journalistes occidentaux, Madeleine Mukamabano convainc Laure Adler, la directrice de France Culture de l’époque, de lui donner carte blanche pour réaliser son propre reportage. Ce projet est loin d’aller de soi à l’époque. D’abord, les grands reportages comme la série « Carnets de voyage » dans laquelle va s’inscrire l’émission Rwanda 1999 : revivre à tout prix sont réservés à des écrivains, des chercheurs, des personnalités médiatiques ou des réalisateurs radio déjà bien établis. Mais c’est surtout au plan politique que le sujet du Rwanda est brûlant : l’influence du pouvoir sur les chaînes de radio publique n’est pas négligeable en France, et la voix de cette exilée rwandaise proche des milieux de l’opposition au régime génocidaire rwandais et donc proche du FPR, peut s’avérer très gênante, surtout si elle décide d’aborder la question de l’implication de l’État français dans le génocide. Même si cette dernière n’est finalement pas vraiment abordée dans Rwanda 1999 : revivre à tout prix, certains des intervenants choisis par la journaliste reviennent avec précision sur un processus au long cours qui prend racine dans la période coloniale et post-coloniale, s’opposant ainsi résolument aux thèses négationnistes encore ouvertement exprimées par des hommes politiques français comme celles du « double génocide » dont les Hutu auraient aussi été victimes au Congo, ou encore celle de massacres « spontanés » et imprévisibles nés d’une concurrence « ethnique » de nature atavique. Mais au-delà de la sensibilité du sujet au plan politique, il n’allait pas de soi d’offrir l’opportunité à une journaliste et intellectuelle africaine de réaliser une telle série documentaire dans le monde très fermé de la production culturelle française, un monde encore exclusivement dominé par une perspective occidentalo-centrée, y compris en termes épistémologiques. Dans une perspective à la fois post- et décoloniale, il faut donc lire la série Rwanda 1999 comme une réappropriation, par une intellectuelle rwandaise, de l’histoire de son pays dans un contexte où une telle démarche était encore une exception, voire une sorte d’anomalie.

Mukamabano obtient un financement modeste, qui ne correspond qu’à une semaine et demie sur place. Elle part au Rwanda accompagnée de Mehdi El Hadj, qui a déjà une longue carrière derrière lui sur France Musique puis sur France Culture, en ayant notamment réalisé de nombreuses créations radiophoniques pour les légendaires Nuits magnétiques. Cette collaboration s’avèrera fructueuse dans la mesure où El Hadj est de son côté très sensible aux dimensions sonore et musicale, et qu’avec le manque de temps et de moyens, il faudra se montrer inventif pour inventer des ambiances sonores. Ainsi, au printemps 1998, soit exactement quatre ans après le génocide, les deux journalistes sillonnent le pays et interrogent des victimes, des tueurs en prison ou en liberté, des exilés tutsi de retour d’Ouganda, de Tanzanie, du Congo ou du Burundi qui se sont réinstallés au Rwanda depuis 1994. Ils se rendent à la prison centrale de Kigali, dans l’hôpital psychiatrique de Ndera où on peut voir les effets des traumatismes massifs sur la population, que ce soit parmi les tueurs ou leurs victimes. Ils interrogent à la fois de simples paysans et des lettrés ou des intellectuels – ecclésiastiques, historiens, sociologues, anthropologues, thérapeutes, journalistes. Ces voix sont exclusivement africaines et presque toutes rwandaises. Madeleine Mukamabano conçoit un montage qui entrelace les explications de chercheurs, les analyses de journalistes, et les paroles des tueurs et des rescapés, mais la particularité de l’émission est que tous les chercheurs, journalistes ou membres d’ONG interrogés appartiennent à la communauté atteinte. Pas d’expert occidental pour parler du Rwanda : la parole est donnée aux Rwandais.

2. Une œuvre multidimensionnelle et polyphonique

 

Au montage, qui est réalisé très vite faute de moyens, le reportage devient une série de plus de 6 heures structurée en 5 épisodes. Le premier épisode, « Les racines du mal », revient sur l’histoire du Rwanda pré et postcolonial avant le génocide, et sur la généalogie de la problématique ethnique. Dans le second épisode, « Aux étoiles éteintes », il est question du temps du génocide lui-même et de ses conséquences sur les rescapés et sur les tueurs, ainsi que du deuil impossible, à la fois au plan collectif et individuel. Dans le troisième épisode, « Le temps du pardon », ce sont essentiellement les questions de la justice post-génocide et du pardon qui sont traitées. Dans le quatrième épisode, « Des chrétiens dans la tourmente », sont explorés l’histoire de l’église catholique au Rwanda puis son rôle pendant le génocide. Enfin, le cinquième épisode, « Vers un nouveau départ », essaie d’ouvrir des perspectives d’avenir et aborde la cohabitation forcée entre victimes et tueurs et la question des exilés tutsi revenus vivre au Rwanda. Chacun de ces épisodes peut être écouté de façon indépendante et est construit de façon chiasmatique, le premier entretien trouvant un écho dans les dernières minutes, soit que le même témoin reprenne la parole, soit qu’il y ait une résonance dans les propos au plan thématique. Tous les épisodes s’ouvrent sur l’extraordinaire prologue sous forme d’oraison funèbre écrit par Madeleine Mukamabano, pour lequel elle s’est inspirée des cérémonies traditionnelles d’offrandes aux « bazimus », les fantômes des morts et des ancêtres qui, dans la tradition rwandaise, doivent être apaisés afin qu’ils ne reviennent pas hanter les vivants.

Rwanda 1999 relève à la fois de l’histoire orale, de la sociologie, de l’enquête ethnographique, de l’anthropologie et de l’historiographie. Car le travail de réflexion et de recherche de la journaliste n’a pas été circonscrit à ces quelques jours de collecte de témoignages et d’entretiens. Entre 1994 et 1998, Madeleine Mukamabano s’est rendue au Rwanda à de nombreuses reprises et a assisté, à la fois de loin et de près, à la reconstruction du pays et au développement de nouvelles formes de sociabilité au sein d’une société traumatisée, mise au défi d’un processus judiciaire et pénal et d’une fracture politique probablement sans précédent. Durant quatre ans, elle a pu observer les nouvelles formes de cohabitation forcée entre les rescapés, les tueurs et les exilés réinstallés au Rwanda et s’entretenir avec de nombreux interlocuteurs sur les sujets qui allaient faire la matière de son émission. Sa réflexion, nourrie et mûrie durant cette période de l’immédiat après-coup, a puisé à la fois dans son expérience du terrain et à l’ensemble des disciplines dont elle suivait l’actualité pour ses émissions sur France Culture et sur RFI. Mais le texte lu par la voix off, écrit à la première personne, est aussi issu d’un travail d’écriture comportant une forte dimension littéraire : récit de voyage, (en)quête dont la dimension personnelle n’est jamais explicitée, mais bien présente et portée par la voix du commentaire, celle de Madeleine Mukamabano elle-même. Une voix magnifique, plutôt grave, un tout petit peu rauque, avec un très léger accent chantant qui lui vient de sa langue natale kinyarwandaise. La dimension littéraire du texte apparaît non seulement à travers le poème qui ouvre chaque épisode, mais aussi à travers l’alternance des descriptions et des explications, produisant une forme de variation de focale entre la distance objectivante et la restitution des impressions sensibles.

À aucun moment pourtant, les origines rwandaises et l’histoire personnelle de la journaliste ne sont clairement formulées. L’auditeur les devine de manière implicite, quand il l’entend dialoguer avec les témoins dans sa langue maternelle et parfois sur un ton très familier, ou quand elle décrit les paysages, les lieux, les odeurs, les couleurs et les sons qui l’environnent. Chaque témoignage et entretien est situé avec précision, mais de façon succincte et discrète, tantôt après qu’on a entendu la personne parler (parfois même pendant plusieurs minutes), tantôt à la fin de son temps de parole. Les grandes lignes des parcours de chaque personne interrogée sont expliquées, surtout dans le cas des tueurs. Le médium spécifique de la radio permet de donner à entendre directement les voix des Rwandais dans leur langue (pour certains d’entre eux, le français, mais pour la majeure partie, le kinyarwanda), dans leurs inflexions, leurs nuances et leur émotivité. Mais la série documentaire permet aussi d’entendre la texture sonore d’une culture (les chants religieux, la radio rwandaise) en ses différents lieux – la ville, les prisons, les collines, les marais, les fleuves ; les bruits de la faune, ceux du jour et ceux de la nuit. Dans l’entretien qu’il accorde en 2021 au sujet de Rwanda 1999, Mehdi el Hadj explique que dans les conditions singulières de l’après-génocide et d’un trauma collectif massif, les préoccupations d’ordre éthique prennent évidemment le pas sur les considérations esthétiques et techniques : « On ne se dit pas : "Ohlala, c’est bien, il y a des aigus et des sons graves", on se dit : "est-ce que je vais parvenir à faire oublier mon micro ou pas ?"[13] ». Le manque de temps et les conditions particulières de cette prise de son dans un contexte où chaque jour on déterre encore des cadavres à travers l’ensemble du pays, imposent d’autres priorités que la recherche du « bon son ». Si bien que c’est au montage, des mois plus tard, qu’El Hadj introduit un grand nombre de sons fabriqués, en essayant notamment de « créer des tensions désagréables » au plan sonore, « parce qu’on a affaire à quelque chose de désagréable » quand on parle du génocide. L’ensemble des épisodes est par exemple ponctué par un bruit récurrent, celui d’une feuille qu’on déchire : « c’était, explique El Hadj, à la fois la machette qui tranche, et la rupture, la rupture dans la société ». Un autre son récurrent est celui des tambours qui annoncent le début de la messe au Rwanda, mais qui sont passés à l’envers, faisant penser à un bruit de tonnerre. Les chants, les paroles, les sons – même ceux fabriqués après-coup – sont profondément situés au sein d’un paysage qui demeure forcément muet dans les écrits sur le génocide, et qu’il faut recréer pour l’auditeur. Le réalisateur radio choisit comme thème musical un morceau aux sonorités africaines qui « ne devait pas être ethnique, mais moderne ». Il s’agit d’un morceau de Gabrielle Roth qui revient tout au long des cinq épisodes qui constituent la série, et qui, dit-il, l’a aidé à trouver « la couleur générale de l’émission[14] ».

Rwanda 1999 relève du genre de l’enquête documentaire radiophonique au sens le plus fort du terme. Il fait partie de ces « premiers savoirs » produits dans l’immédiat après-coup du génocide par les membres de la communauté atteinte, qu’on peut comparer à ces corpus très vastes dans le cas de la Shoah, un peu moins dans le cas du génocide des Arméniens, d’enquêtes, de reportages, de collectes de témoignages effectués dans l’après-coup par des témoins rescapés ou des membres de la diaspora[15]. Ces travaux, qui ont pu prendre des formes multiples, relèvent presque toujours d’un savoir profondément « indiscipliné » : ils sont à la fois interdisciplinaires et multidimensionnels en débordant systématiquement les intentions propres à une discipline ou une démarche données. Conçus à la fois comme document et comme monument, ils visent à faire connaître et à révéler la vérité des faits, à tenter de comprendre la logique de la violence, mais aussi à transmettre l’expérience vécue et le sens de l’événement en les interrogeant à travers les témoignages des rescapés et les paroles des autres acteurs ou chercheurs sur l’événement. Cette multidimensionalité implique aussi un travail de deuil entrepris à travers la libération, l’échange, la circulation de la parole. Il s’agit à la fois d’une tentative de compréhension et d’une offrande aux disparus, à destination des morts et à l’usage des vivants[16]. Les Rwandais, mais surtout les Occidentaux, sont invités à accomplir cette plongée sonore dans le Rwanda de l’après-génocide pour tenter de comprendre certains aspects du processus génocidaire et pour en saisir les conséquences à la fois à l’échelle d’un pays et de l’humanité.

Mais c’est aussi un travail d’analyse réflexif et scientifique monté selon des logiques thématiques qui mettent les entretiens collectés en dialogue et en tensions successives. Le montage, extrêmement soigné par la journaliste, a fait de la relative rareté du matériau collecté une forme de richesse. Car en une semaine et demie de prises de son, il n’a évidemment pas été possible de couvrir l’ensemble des expériences vécues pendant le génocide, ni d’interroger toutes les personnes que Madeleine Mukamabano aurait voulu interroger. Il a donc fallu utiliser certains entretiens sur l’ensemble des cinq épisodes en les entrelaçant avec des témoignages qu’on entend une seule fois. Beaucoup des voix qu’on entend parler longtemps avant qu’elles soient présentées après-coup par la voix off reviennent au fur et à mesure des épisodes. En écoutant l’ensemble, l’auditeur se familiarise avec elles, les resitue au sein d’un récit polyphonique où elles se télescopent sans cesse avec d’autres voix, plus ponctuelles. Le documentaire se caractérise ainsi par son caractère polyphonique, à travers les situations de dialogue dans les interviews et les situations d’énonciation collectives, créant les conditions d’une forme d’autorité énonciative partagée[17]. Les changements de focale incessants entre le collectif et l’individuel, entre l’explication objectivante et le récit ou le témoignage subjectifs, offrent une sorte de « panorama » du Rwanda quatre ans après le génocide et amènent en filigrane, et comme en creux, à interroger la position de l’exilée de retour au pays qui questionne le passé pour déchiffrer le présent et imaginer les conditions d’un avenir possible.

3. Le reportage radio comme miroir et comme bouclier

 

La situation particulière qui était celle des deux journalistes, où l’un était perçu comme Français et blanc (malgré ses origines nord africaines) accompagnant l’autre, Rwandaise tutsi, qui était la destinataire principale de la parole de ses compatriotes, a engendré un dispositif singulier où, comme l’expliquera El Hadj des années plus tard,

 

[] la question de la prise de son est très importante. Est-ce qu’on capte simplement ce qui se dit ? Mais les choses ne se disent pas au micro, elles se disent à Madeleine. Cette parole se libère dans la langue [que] moi le blanc je ne comprends pas [] et ils lui disent des choses à elle, parce que c’est elle qui va les écouter, c’est pas le micro. Eux, ils s’en foutent de la radio [18].  

 

Le dispositif de la prise de son radio permet de répondre à la nécessité, vitale pour Madeleine Mukamabano, de se maintenir à distance du vécu traumatique des rescapés et de l’expérience perturbante des tueuses et des tueurs. Mais le reportage la confronte de façon brutale et frontale aux récits de personnes dont beaucoup lui parlent d’amis, de connaissances communes disparues. Elle doit, à tout moment, se maintenir à distance, mais aussi se protéger et protéger ses interlocuteurs, dont beaucoup sont des Tutsi rescapés qui vivent au milieu des assassins de leurs familles[19]. La forme du reportage est donc l’expression d’un effort d’objectivation remarquable, hors normes, de la part de la journaliste, où la démarche de l’enquêtrice est à la fois un instrument méthodologique et heuristique assumé et une stratégie efficace de protection psychique.

Dans les premières œuvres sur le génocide, c’est souvent le tiers occidental qui fait office de « passeur » et de traducteur, transposant à l’usage d’un public occidental les propos et les témoignages des Rwandais, parfois en les adaptant à un certain canon générique lié au rôle paradigmatique de la mémoire de la Shoah ou des camps. Madeleine Mukamabano, de culture rwandaise, est un tiers, certes, mais en même temps un sujet profondément impliqué. C’est donc tout autrement qu’un tiers occidental ou même qu’un tiers de culture africaine, mais bien en tant que Rwandaise, qu’elle recueille la parole des Rwandais. Poussant les tueurs ou les responsables du génocide dans leurs derniers retranchements – comme quand elle interviewe un collègue journaliste emprisonné pour son rôle dans la Radio-Télévision des Mille Collines – ou en se mettant à l’écoute de la parole des rescapés, elle est à la lisière entre l’appartenance au collectif rwandais et une extériorité due à sa position d’exilée et de journaliste formée en France. Aussi est-elle en mesure d’être à la fois dedans et dehors, de se situer au plus loin et au plus près.

Au cours des entretiens que nous avons menés, elle m’a expliqué à quel point on attendait d’elle qu’elle se livre beaucoup plus sur son parcours, son histoire, son implication. « Quand tu es écrivain, romancière tu peux faire ça. Moi j’étais journaliste[20] ». C’est en journaliste et en intellectuelle qu’elle a voulu aborder l’ensemble de l’histoire du Rwanda, la généalogie de la violence décryptée aux plans sociologique, anthropologique et historique. Mais il n’en reste pas moins que son approche comporte une part autobiographique et subjective cachée. Car la position des intellectuels rwandais qu’elle interroge au cours de l’émission est à certains égards semblable à la sienne, comme celle de l’anthropologue spécialiste du Rwanda Damien Rwegera. Dans l’épisode « Aux étoiles éteintes », principalement centré sur les différents aspects du trauma post-génocidaire, il explique le sens du mot kinyarwanda « guhahamuka », un néologisme apparu après le génocide qui signifie quelque chose comme « sortir les tripes, sortir ce qui est à l’intérieur de soi » ou, selon une autre traduction, « sortir ses poumons hors de soi »[21]. Construit sur une onomatopée (on entend « hahahaha »), ce mot désigne le flot de paroles de ceux « qui n’arrivent même pas à parler ». Damien Rwegera explique dans un entretien :

 

Cela vient aussi de loin car dans la culture rwandaise, on doit être discret, ne pas se faire entendre. Or les gens n’obéissent plus à cette consigne culturelle. Ils sortent tout ce qu’ils ont, mais dans le désordre. On ne peut pas, on ne peut plus les cacher dans notre société. Celui qui est traumatisé, celui qui entre dans cette folie de guhahamuka, c’est un miroir de moi-même Et je… J’ai du mal à supporter cela, parce que je suis en train de voir qu’il va m’arriver la même chose. Et je ne peux pas supporter ça. Et je n’ai pas les moyens de m’en occuper parce que si j’en m’en occupe, peut-être que je vais devenir comme lui. Il faudrait peut-être que nous tous, nous fassions guhahamuka[22].    

 

Madeleine Mukamabano, elle, recueille la parole des autres tout en restant dans une forme de distance, précisément pour pouvoir la recueillir et la transmettre, mais aussi pour pouvoir se regarder dans le miroir de façon indirecte, diffractée par le bouclier d’une forme d’objectivation – comme Persée face à la Gorgone. Les nombreux passages où elle décrit les paysages, les odeurs, les couleurs du Rwanda, sont d’autant plus bouleversants qu’on sait qu’elle décrit les paysages de son enfance. Ces paysages, leur faune, leur flore, ont une fois de plus été les témoins muets des massacres de Tutsi au cours desquels leurs maisons ont été détruites, ainsi que tout leur bétail, en particulier les vaches rwandaises à longues cornes qui ont massivement été abattues et mangées par les tueurs. Fille d’un éleveur tutsi qui possédait un grand troupeau et qui fut assassiné en 1964, Madeleine Mukamabano est elle-même rescapée de massacres et a un vécu comparable à celui des rescapés qu’elle interroge. Pourtant, le statut de victime des pogromes des années 1960-1980 et les processus de traumatisation intergénérationnelle qu’ils impliquent parmi l’ensemble de la communauté tutsi en diaspora sont encore peu étudiés et sont restés, jusqu’ici, à l’ombre du génocide de 1994[23]. Il est significatif à cet égard que le premier épisode, « Les racines du mal » s’ouvre sur une situation d’entretien collectif où des tueurs hutu s’expriment sur ces massacres passés, en particulier ceux de 1961, ce qui impose de réfléchir à la façon dont s’expriment ces mémoires traumatiques. Le génocide de 1994 représente certes le moment culminant d’une violence génocidaire qui s’est déployée sur des décennies d’impunité, mais il entre rétrospectivement en écho avec les massacres qui ont précédé. Car comme le dit Madeleine Mukamabano, jusqu’en 1994 au Rwanda, « Après chaque massacre, on oublie les morts[24] ».

4. La transmission d’un savoir décolonisé par le détour d’un genre marginal

 

Avant de réaliser Rwanda 1999, mais aussi dans les années qui ont suivi, Madeleine Mukamabano a assisté un grand nombre de journalistes, d’auteurs, de réalisateurs pour effectuer leurs recherches sur le Rwanda. Concernant la période de l’immédiat après-génocide, elle dit avec l’humour caustique qui la caractérise : « J’étais la négresse de tout le monde[25] ». Derrière l’humour, cependant, il faut entendre la critique d’une situation caractérisée par un rapport de domination à envisager en termes d’« injustice épistémique », et qui détermine la relation entre des auteurs, réalisateurs, chercheurs ou journalistes occidentaux, et leurs interlocuteurs, rwandais en l’occurrence. Considérés, dans le meilleur des cas, comme « experts », leurs productions propres restent marginalisées. Cités, utilisés, exploités, les savoirs rwandais sur le génocide se trouvent souvent instrumentalisés au sein des productions occidentales du savoir, et même de la mémoire sur l’événement, dans une logique qu’il faut analyser dans une perspective décoloniale[26]. La constitution, au cours des années 1990-2000, d’une mémoire occidentale globale, puis de plus en plus internationalisée de la Shoah, devenue à la fois paradigme scientifique pour envisager la violence génocidaire et paradigme mémoriel pour appréhender les formes culturelles et politiques des processus de mémorialisation, a joué un rôle à la fois libérateur et enfermant. Si l’on peut voir dans bien des productions occidentales sur le génocide des Tutsi le fruit d’une mémoire multidirectionnelle[27] où le tiers occidental devient un « passeur », il faut se méfier d’une lecture idéalisatrice. Car cette idéalisation est susceptible de masquer un processus de transmission qui, qu’on le veuille ou non, relève d’une forme d’exploitation continuée, une forme de « situation coloniale » par-delà la décolonisation. En outre, les effets de l’intégration culturelle de la mémoire du génocide des Tutsi au niveau global impliquent une forme de simplification et de dépolitisation des réalités rwandaises.

En réécoutant aujourd’hui Rwanda 1999, on peut ainsi se demander si l’intégration rapide de la mémoire de cet événement au sein d’une mémoire mondialisée et standardisée des crimes contre l’humanité et des génocides ne s’est pas faite aux dépens de sa spécificité[28]. Dans cette phase très précoce de la période post-génocide durant laquelle est enregistrée Rwanda 1999, Madeleine Mukamabano analyse et donne à entendre cette spécificité du cas rwandais, qui se manifeste à travers une multitude de traits de singularité d’ordre à la fois culturels et politiques. La série documentaire affronte ainsi la question du passage à l’acte meurtrier de toute une population et aborde les expériences les plus terrifiantes engendrées par le génocide, dont certaines sont tout à fait spécifiques au contexte rwandais : celle de l’infanticide génocidaire (soit des femmes hutu qui ont tué leurs propres enfants considérés comme tutsi)[29], celle des enfants tueurs ou encore celle des enfants nés du viol de femmes tutsi (cette dernière forme de violence ayant également été très présente durant le génocide des Musulmans bosniaques et celui des Arméniens). La spécificité du contexte rwandais apparaît surtout au cours des épisodes 2, 3 et 5 de la série. Respectivement consacrés aux formes du trauma post-génocide (épisode 2 « Aux étoiles éteintes »), à la justice post-génocide et au pardon (épisode 3, « Le temps du pardon »), et à la cohabitation forcée entre victimes et tueurs et la question d’une possible « réconciliation » (épisode 5 « Vers un nouveau départ »), ces épisodes explorent des aspects de la période de l’après-génocide selon une perspective résolument locale et interne. En expliquant la singularité des manifestations du trauma lié au génocide à travers la notion de « guhahamuka », l’anthropologue rwandais Damien Rwegera interrogé à ce sujet expose une théorie du trauma située et mettant en jeu une épistémologie décolonisée. En s’appuyant à la fois sur les théorisations occidentales et les réalités culturelles et psycho-sociologiques locales, la notion de « guhahamuka » est une spécificité de la culture et de la mémoire rwandaises. Pareils concepts situés sont toujours un défi et un enrichissement de la théorie à partir de la clinique locale et en-deçà du « trauma de la thérapie occidentale[30] ».

Dans le contexte de la mise en place d’une politique mémorielle qui répond à l’impératif de promotion de l’unité nationale à travers la réconciliation, les épisodes 3 et 5 explorent ensuite la singularité de la justice transitionnelle, les tribunaux gacaca inspirés de formes de justice traditionnelle rwandaises, et les problèmes liés aux notions de pardon et de réconciliation qu’ils sont censés rendre possibles. Ces formes de justice locale, nées d’une remise en question de l’hégémonie du paradigme juridique occidental et de la nécessité de trouver une solution pour affronter l’énormité de la tâche en matière de justice, sont liées au partage de la parole, à l’aveu et aux effets thérapeutiques et/ou traumatiques de la vérité[31]. Elles soulèvent des problèmes que ces deux épisodes présentent comme irrésolus, et peut-être insolubles. Et c’est précisément à travers la multiplicité des points de vue, ceux des intellectuels qui tentent de réfléchir à ces questions comme ceux des paysans – victimes et tueurs –, que se dessine le panorama d’une situation infiniment ambivalente et contradictoire. C’est une des forces du documentaire radiophonique que de donner à entendre la « parole des anonymes[32] » dont le chœur polyphonique restitue une pluralité de points de vue.

     L’objectivation et la prise de distance propres à l’enquête (journalistique, sociologique, ethnographique) est entrelacée à l’écoute de chaque voix, de chaque témoignage, au plus près du sujet qui s’exprime dans toute sa subjectivité. Il n’est pas anodin que chaque épisode de Rwanda 1999 : revivre à tout prix soit construit comme un chiasme, l’ouverture et la conclusion donnant souvent à entendre des paroles de rescapés. L’auditeur saisit qu’ils sont détenteurs d’une vérité toute singulière sur l’événement, liée aux réflexions nées de leur expérience de proximité extrême avec la mort. Le montage leur restitue l’autorité qui leur est déniée, que ce soit en raison du silence imposé par leur cohabitation forcée avec les tueurs, d’une politique mémorielle qui peine à prendre en compte leur situation, ou du traumatisme qui fait de leur survie un jeu d’équilibrisme aux lisières de la folie. Ainsi, au début de l’épisode 1, puis au début de l’épisode 3, on entend le témoignage d’Eugène, un paysan tutsi qui répond à une question de Madeleine Mukamabano au sujet de sa cohabitation avec les assassins de sa famille :

 

Tu me demandes si je parle aux gens qui ont tué les membres de ma famille ? Bien sûr que je leur parle. Pourquoi ne le ferais-je pas ? Je ne peux pas m’isoler. Je discute avec eux. Je ne suis pas rancunier comme eux. On se rend visite. On boit de la bière ensemble. On dort même avec leurs filles. […] Tous ces jeunes que vous voyez ont tué.

    […] Le problème, c’est qu’on ne peut pas mettre tous les assassins en prison. Nous sommes donc forcés de cohabiter. Que puis-je faire ? Je ne veux pas me suicider, je ne peux pas les fuir, je n’ai pas où aller, je ne peux pas m’exiler sur un nuage. Le Rwanda nous appartient à tous, à eux, comme à moi[33]    

Aujourd’hui au Rwanda, trente ans après le génocide et alors qu’approche la remise en liberté de plusieurs dizaines de milliers de génocidaires, les questions de la cohabitation et de la réconciliation sont toujours à vif. Et l’auditeur de Rwanda 1999 : revivre à tout prix écoute, médusé, une parole qui relève pour lui en partie d’un mystère irrésolu jusqu’à ce jour, celui d’une communauté où les voisins vivent côte-à-côte, séparés par un fossé infranchissable. En réécoutant ce documentaire aujourd’hui, il a accès à une réalité complexe que seules, peut-être, des voix rwandaises s’adressant à une journaliste rwandaise, étaient susceptibles de transmettre.

Notes

 

[1] Les substantifs et les adjectifs Hutu/hutu/Tutsi/tutsi sont invariables (en kinyarwanda, le pluriel se signale normalement par le préfixe « ba- »). Nous avons toutefois laissé les termes avec la forme francisée du pluriel dans les mentions de titres (ouvrages ou articles) quand ils ont été publiés sous cette forme.

[2] Les cinq épisodes de Rwanda 1999 ont été diffusés sur France Culture dans le cadre de l’émission documentaire « Carnets de voyage ». La recherche sur les documents sonores est compliquée par le fait que l’émission elle-même est répertoriée dans les archives de l’INA sous des titres divers, modifiés au gré de ses rediffusions. Et même les fiches de la première diffusion donnent des titres en partie modifiés par rapport aux titres originaux choisis par Madeleine Mukamabano. La série est en effet archivée sous le titre Les Rwandais, cinq ans après le génocide, épisode 1 « Les racines du mal », diffusé le 30/08/1999, ID 1049640.001 ; épisode 2 « Le temps des assassins » (le titre véritable prononcé par M. Mukamabano au début de l’épisode est « Aux étoiles éteintes »), diffusé le 31/08/1999, ID 1049686.001 ; épisode 3 « Le sabre et le goupillon » (titre original : « Le temps du pardon), 1/09/1999, ID 1049733.001 ; épisode 4 « Les chrétiens dans la tourmente », 2/09/1999, ID 1049780.001, épisode 5 « Vers un nouveau départ », 3/09/1999, ID 1049825.001. Le lecteur trouvera une version abrégée – car réduite de deux heures sur 4 épisodes – sur le site de France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-cinq-ans-apres-le-genocide-des-tutsis-au-rwanda [En ligne, consulté le 24 février 2024]. Le remontage effectué pour cette version courte modifie profondément le sens de l’œuvre, ce qui peut se mesurer au fait que le poème sous forme d’oraison funèbre qui ouvre tous les épisodes – un texte essentiel aux yeux de l’autrice – a été supprimé. Dans ce texte, je ne commenterai que la version originale de l’émission.

[3]Voir les articles et les ouvrages de Jean-Pierre Karegeye, « Rwanda : littérature post-génocide, écritures itinérantes : témoignage ou engagement ? », Protée, vol. 37, n° 2, 2009, p. 21-32 ; Virginie Brinker, La Transmission littéraire et cinématographique du génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; Virginie Brinker, Catherine Coquio, Alexandre Dauge-Roth, Éric Hoppenot, Nathan Réra, François Robinet (dir.), Rwanda, 1994-2014. Histoire, mémoires et récits, Dijon, Les Presses du réel, 2017 ; Catherine Coquio, Rwanda : le réel et les récits, Paris, Armand Colin, 2004.

[4] À partir de 1959 puis de l’indépendance proclamée en 1962 qui voit des Hutu prendre le pouvoir après la période coloniale durant laquelle les dirigeants tutsi avaient été favorisés et instrumentalisés par le pouvoir belge, de nombreux massacres de Tutsi ont lieu au Rwanda. Prenant prétexte des attaques menées par des Tutsi exilés dans les pays voisins, ils firent des dizaines de milliers de morts. Les massacres de 1963-64 furent les plus importants de la période avant le génocide.

[7] Le Front Patriotique Rwandais (FPR) est un mouvement politique et militaire qui œuvra à partir de sa fondation en 1988 en Ouganda au retour des Rwandais exilés et à l’introduction du pluralisme politique au Rwanda. Il était alors composé principalement de Tutsi exilés en Ouganda, mais comptait également des Hutu opposés au pouvoir de Juvénal Habyarimana.

[9] Sur ces questions, on peut renvoyer au livre de Raphaël Doridant et François Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Paris, Agone, 2020.

[11]Madeleine Mukamabano sera d’ailleurs chargée de conseiller le directeur de la rédaction de RFI concernant les sujets africains, en particulier le Rwanda. Violemment critiqué par le journaliste négationniste Pierre Péan pour le parti-pris soi-disant pro-FPR des émissions de RFI depuis le début de la guerre en 1990, le PDG de de la chaîne diligentera en 2006 une « Mission d’étude sur le Rwanda » chargée d’écouter la production de RFI sur le Rwanda à partir de 1990, répondant en cela à une proposition de la Société des journalistes de la station. Ce rapport conclut sans ambiguïté au professionnalisme des journalistes de RFI, notamment Madeleine Mukamabano. Voir :  https://francegenocidetutsi.org/RfiMissionEtudeRwanda.html [En ligne, consulté le 24 février 2024].

[12] Entretien téléphonique avec Madeleine Mukamabano du 15 mai 2023.

[13] « Rencontre Addor avec le réalisateur radio Mehdi El Hadj. Episode 13 / 23 : 1998 Au Rwanda avec Madeleine Mukamabano. Enregistrer une émission de radio avec une journaliste “tutsi” au Rwanda », https://www.addor.org/rencontre-addor-avec-le-realisateur-radio-mehdi-el-hadj-799 [En ligne, consulté le 24 février 2024].

[14] Il s’agit du morceau « The Calling » de l’album « Bones » de Gabrielle Roth & The Mirrors (1989), inspiré par la musique est-africaine.

[15] On peut notamment songer aux entretiens menés par le psychologue David Boder (1886-1961) dans les DP camps juste après la Seconde Guerre mondiale (v. David P. Boder, Je n’ai pas interrogé les morts, Paris, Tallandier, 2006). Une vaste littérature est consacrée depuis quelques années à ce champ d’étude de l’« immédiat après-coup » du génocide (« Aftermath Studies »). Je me contenterai de citer le désormais classique Collect and record! Jewish Holocaust Documentation in Early Postwar Europe de Laura Jockusch, New York/Oxford, Oxford University Press, 2012. Le parcours de Mukamabano peut être comparé à celui des intellectuels, directement rescapés ou ayant survécu en diaspora, qui se sont fixé pour mission de produire un savoir sur le génocide tout en accomplissant un travail de transmission, de mémoire et de deuil. L’historien Rémi Korman a évoqué les comparaisons possibles entre ces premiers savoirs juifs et rwandais tutsi sur le génocide dans un article consacré aux intellectuels rwandais : « Les universitaires et intellectuels rwandais à l’épreuve du génocide des Tutsi : première mémoire, première histoire », Les Cahiers du FRAMESPA, no 41, https://journals.openedition.org/framespa/13693 [En ligne, consulté le 24 février 2024]. Mais cette comparaison mériterait d’être étendue à d’autres génocides ou événements relevant de la violence politique extrême (notamment aux génocides des Musulmans bosniaque et des Arméniens). Elle fait l’objet de deux projets en cours de préparation en collaboration avec la chercheuse en Cultural Studies Zuzanna Dziuban et Rémi Korman.

[16] Je reprends ici le beau sous-titre de la pièce rwando-belge écrite à une multiplicité de mains (belges et rwandaises) du collectif théâtral belge Groupov : Rwanda 1994. Une tentative de réparation symbolique envers les morts, à destination des vivants, Paris, Éditions théâtrales, 2002.

[17] Sur cette notion, voir Michael Frisch, A Shared Authority: Essays on the Craft and Meaning of Oral and Public History, Albany, State University of New York, 1990 ; Fleur Kuhn Kennedy, « Je n’ai pas interrogé les morts de David Boder : le témoignage en dialogue », dans Les expressions du collectif dans les écritures juives d’Europe centrale et orientale, Paris, Éditions de l’Inalco, 2018, p. 170-183, https://books.openedition.org/pressesinalco/3968?lang=fr#ftn8 [En ligne, consulté le 24 février 2024].

[18] Rencontre Addor avec le réalisateur radio Mehdi El Hadj, entretien cité.

[19] Dès le premier épisode, Eugène, un paysan tutsi rescapé, explique à Madeleine qu’il ne peut pas lui révéler les noms de ceux qui, parmi ses voisins, ont été des tueurs durant le génocide : « Les gens vont penser que nous les avons dénoncés, et que tu viens nous venger » (« Les racines du mal », 22’50’’20).

[20] Entretien téléphonique avec Madeleine Mukamabano le 15 mai 2023.

[21] Le verbe qui correspond étant « ihahamuka ». V. Darius Gishoma, Crises traumatiques collectives d’Ihahamuka lors des commémorations du génocide des Tutsis. Aspects cliniques et perspectives thérapeutiques, thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, UCLouvain, 2014.

[22] « Aux étoiles éteintes », document cité, 23’19’’55 et passim.

[23] Marcel Kabanda, « Rwanda, les massacres de 1963. Le témoignage de G.D. Vuillemin », dans Christine Deslauriers et Dominique Juhe-Beaulation (éd.), Afrique, terre d’histoire. Au cœur de la recherche avec Jean-Pierre Chrétien, Paris, Karthala, p. 415-434.

[24] « Les racines du mal », document cité, 22’40 et passim.

[25] Entretien téléphonique avec Madeleine Mukamabano le 15 mai 2023.

[26] On peut aussi évoquer la notion issue des études postcoloniales d’« impérialisme académique » (Gayatri C. Spivak). Sur la perspective décoloniale, voir entre autres, Walter Mignolo, Decolonizing Epistemologies, New York, Fordham University Press, 2011 ; Mahmood Mamdani, Decolonisation in Universities, Johannesburg Wits University Press, 2019 ; Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, Epistemic freedom in Africa: Deprovincialization and decolonization, New-York, Routledge, 2018. Concernant le recours à des assistants de recherche et leur (non)reconnaissance, voir Sascha Kesseler, « Être et avoir un assistant de recherche », dans Marina Lafay, Françoise Le Guennec-Coppens & Élisée Coulibaly (dir.), Regards scientifiques sur l’Afrique depuis les Indépendances, Paris, Karthala, 2016, p. 33-57. Sur les chercheurs spécialistes du Rwanda, v. Felix Mukwiza Ndahinda, Jason Mosley, Nicola Palmer, Phil Clark & Sandra Shenge, « Rwandan researchers are finally being centred in scholarship about their own country », The Conversation, 25 mai 2022, http://theconversation.com/rwandan-researchers-are-finally-being-centred-in-scholarship-about-their-own-countr y-183142 [En ligne, consulté le 24 février 2024]. Rémi Korman a récemment abordé ces questions dans un article : « Décoloniser les archives coloniales sur le Rwanda ? Enjeux pour l’écriture de l’histoire », article à paraître dans un numéro de la revue Matériaux pour l’Histoire de notre temps consacré au génocide des Tutsi en 2024 (je remercie l’auteur de m’avoir transmis son texte avant publication).

[27] V. le livre désormais classique de Michael Rothberg, Mémoire multidirectionnelle. Repenser l’Holocauste à l'aune de la décolonisation, Paris, Petra, 2018.

[28] Lea David, The Past Can’t Heal Us. The Danger of Mandating Memory in the Name of Human Rights, Cambridge MA, Cambridge University Press, 2020.

[29] Sur cette notion forgée par l’anthropologue Violaine Baraduc, v. son livre Tout les oblige à mourir. L’infanticide génocidaire au Rwanda en 1994, Paris, CNRS éditions, 2024.

[30] L’expression est de Caroline Williamson Sinalo dans son livre Rwanda After Genocide. Gender, Identity and Post-Traumatic Growth, Cambridge/NY, Cambridge University Press, 2018, voir en particulier le chapitre « Defying silence, defying theory », p. 21-52.

[31] Marie-Odile Godard, Naasson Munyandamutsa, Amélie Mutarabayira-Schafer et Eugène Rutembesa (dir.), « La violence de la parole, quinze ans après le génocide des Tutsis au Rwanda. Des groupes de soutien psychologique dans le processus gacaca », Manuel des psycho-traumatismes, Grenoble, La Pensée sauvage, 2012.

[32] Christophe Deleu, Les Anonymes à la radio. Usages, fonctions et portée de leur parole, Paris, De Boeck, 2006, en particulier la partie 4 consacrée à « La parole documentaire ».

[33] Extraits respectivement issus des épisodes 1 (22’49’’00) et 3 (22’42’’00).

 

Autrice

Aurélia Kalisky est chercheuse en littérature comparée et vit à Berlin. Elle écrit actuellement avec une bourse au Centre Marc Bloch un livre qui a pour titre Comment écrire notre histoire ? Les écrits des savants survivants juifs au lendemain de la Shoah, issu d’un projet FRAL (ANR/DFG) achevé en 2021 sur les « Premiers modes d’écriture de la Shoah. Pratiques savantes et textuelles de survivants juifs en Europe 1942-1965 » (ZfL Berlin/Simon Dubnow Institute Leipzig/EHESS Paris). Elle a publié de nombreux travaux portant sur la littérature et les œuvres testimoniales issues de catastrophes historiques liées à la violence politique extrême, ainsi que plus généralement sur les formes de la mémoire et l’écriture de l’histoire issues de ces événements, notamment l’anthologie L'Enfant et le génocide (avec Catherine Coquio, Paris 2007). Elle a récemment édité la traduction allemande des manuscrits de Zalmen Gradowski (Die Zertrennung. Aufzeichnungen eines Mitglieds des Sonderkommandos, Berlin 2020).

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