Si l’on en croit les derniers sondages de Médiamétrie, les récits d’enquêtes font partie des productions radiophoniques les plus populaires : « Affaires sensibles » (France Inter), « L’heure du crime » (RTL), et « Les Pieds sur terre » (France Culture) sont parmi les dix podcasts les plus écoutés ou téléchargés en France en 2023[1]. Difficile cependant de considérer les enquêtes radiophoniques comme un tout unitaire. La notion d’enquête recouvre elle-même un ensemble de pratiques hétérogènes. Si l’on suit la définition proposée par Aline Caillet, « on peut regrouper, sous le nom générique d’enquête, l’ensemble des pratiques et procédures qui consistent à investir un terrain, arpenter un territoire, effectuer des prélèvements, collecter et exploiter des archives, recueillir des témoignages ou encore produire des documents[2] ». Ces gestes divers donnent lieu, en radio, à des formes documentaires tout aussi diverses sur le plan poétique (du grand reportage à la série judiciaire, de l’arpentage poétique aux collectes polyphoniques) et sur le plan matériel des moyens de production et de diffusion (émissions unitaires sur les ondes des radios publiques, séries de podcasts mis en ligne par des studios privés, productions indépendantes diffusées sur des réseaux sociaux sonores). Toutefois, la notion d’« enquête » permet de rassembler ces productions sous un dénominateur commun que nombre d’études philosophiques, esthétiques ou littéraires reconnaissent comme un paradigme structurant pour l’observation des pratiques et des représentations contemporaines[3].
Le prisme de l’enquête a pour avantage de mettre en avant les actions extra-artistiques qui accompagnent une réalisation basée sur des lieux, des faits, ou des personnes « posées par la représentation comme ayant effectivement existé dans le monde[4] ». Il permet ainsi de décrire – avec Frédéric Pouillaude – ce type de forme comme « une praxis globale, comme une manière d’agir dans le monde par et à travers des représentations, et non comme une stricte poïesis, réduite à la production d’un objet fini[5]. » De plus la notion d’enquête soulève des problématiques éthiques, car comme le souligne Marie-Jeanne Zenetti, « les écritures contemporaines ne peuvent ignorer le risque que représente leur propre discours – celui de réduire ou d’utiliser l’altérité dont elles prétendent rendre compte : l’enquête peut aussi occulter une part du réel[6]. » Le « risque » éthique des écritures (radiophoniques, filmiques, littéraires, etc.) de l’enquête ne concerne pas seulement la véracité des discours – valeur battue en brèche dans nombre d’œuvres contemporaines par une « exigence d’incomplétude qui maintient distance, imprécision ou indétermination[7] ». Ce risque est plus largement celui de la responsabilité de l’auteur·ice qui s’implique dans la récolte des voix d’autrui, leur manipulation et leur présentation devant un auditoire. Certes, les perturbations occasionnées sur le terrain par la présence d’un enquêteur ont été reconnues de longue date comme inséparables, et même constitutives de l’enquête[8]. Cependant, quand les personnes représentées sont sélectionnées parmi les « humbles », les « disparus » ou les « sans parole[9] » comme c’est souvent le cas dans les enquêtes contemporaines, la saisie et la production de leur voix par le double dispositif[10] de l’enregistrement et du montage soulèvent l’enjeu d’une dépossession, d’une réappropriation au profit des auteur·ices. De plus, les voix dans les productions radiophoniques ont ceci de particulier qu’elles sont présentées sous forme de sons seuls, sans visages, et sans la médiation d’une transcription comme c’est le cas dans les collectes de voix littéraires. Sans aller jusqu’à céder au préjugé logocentrique qui prêterait à ces voix un surcroît de présence[11], on peut prêter attention à ce qu’elles contiennent de « bruit », de non verbal, de sons involontairement émis par le corps de la personne enregistrée et capturés par la prise de son. Car ces signes parlent dans une certaine mesure pour et malgré elle, puisqu’ils seront potentiellement interprétés par l’auditeur en fonction de stéréotypes d’âge, de race, de genre, etc.[12]. On peut ainsi considérer que la question de la vulnérabilité des voix se pose avec une acuité particulière dans l’enquête sonore.
Que se passe-t-il alors quand les documentaristes sonores se mettent « en quête de voix[13] » ? Pour répondre à cette question, il faudra se pencher tout à la fois sur les gestes de recherche effectués, les agencements de voix et de sons qui leur donnent forme de récit, le type de connaissance produite par l’enquête, et les postures éthiques des auteur·ices face à ce réel qu’ils et elles explorent. Pour le dire avec d’autres mots, ceux de Didier Fassin et d’Alban Bensa, cela revient à repérer les « politiques de l’enquête[14] » qui sont adoptées dans les enquêtes radiophoniques, et les poétiques sonores qui les traduisent. Après un préambule historique qui rappellera la complicité des pratiques phonographiques et enquêtrices, on adressera ces questions à trois investigations contemporaines : Un micro au tribunal, immersion dans les coulisses de la justice réalisée par Pascale Pascariello[15], Cerno l’anti-enquête, série policière de Julien Cernobori[16] et La ferme où poussent les arbres du ciel, essai autobiographique signé par Kaye Mortley[17].
1. Pratiques phonographiques et enquêtrices : un compagnonnage ancien
Il n’est pas inutile de rappeler l’origine des rapports entre enquête et phonographie pour comprendre les problématiques qui se posent à l’écoute des enquêtes contemporaines. Les technologies de reproduction sonore voient le jour en Europe et aux États-Unis au milieu du xixe siècle. Elles sont issues d’une recherche qui traverse tout le siècle, sur la transcription de la parole humaine et les moyens de la rendre visible, qui prend peu à peu trois directions distinctes : la sténographie, la phonétique et l’enregistrement sonore[18]. Dans les années 1800, les premières occurrences du terme de « phonographie » désignent ainsi « les tentatives faites pour élaborer un système d’écriture simplifiée permettant d’“écrire aussi vite que l’on parle[19]” ». Au milieu du siècle, les phonautographes d’Édouard-Léon Scott de Martinville (1957) et d’Alexander Graham Bell et Clarence Blake (1874) permettent de produire une trace graphique à partir d’un son mais pas encore de le réécouter. C’est à partir du phonographe mis au point par Thomas Edison en 1877[20], qu’il devient possible de rejouer l’enregistrement à partir d’une feuille d’étain puis d’un cylindre de cire où il est gravé. L’invention est présentée avec succès à l’Exposition universelle de Paris en 1889 et rapidement commercialisée. Parmi les premiers usages qui vont être faits de cette invention, on compte un usage domestique récréatif (c’est-à-dire l’écoute de musique enregistrée chez soi), un usage communicationnel (en particulier à des fins d’optimisation du travail dans les entreprises américaines), ou encore un usage scientifique, qui donne lieu d’une part à l’étude phonétique des phénomènes acoustiques et d’autre part à des campagnes ethnographiques de collectes de voix. Ainsi, comme le remarque l’historien Ludovic Tournès, « le phonographe est, d’emblée, un auxiliaire méthodologique et technique pour l’ethnologie et l’anthropologie en voie de constitution et de professionnalisation : dès 1890, peu après l’écrasement des derniers foyers de résistance indienne, les anthropologues américains entreprennent la collecte de chants et de rituels des tribus soumises[21] ». En Europe fleurissent les projets de musées phonographiques, tels que les Archives de la parole, fondées en 1911 par le grammairien Ferdinand Brunot, qui enregistre les voix paysannes françaises dans la lignée des collectes folkloriques du xixe siècle[22]. La phonographie est ainsi mise au service de la conservation de cultures orales sur le point de disparaître, à travers l’enregistrement de chants, notamment rituels, et plus rarement de paroles – quand c’est le cas, c’est le pittoresque d’un accent ou d’un dialecte qui est recherché. Ces récoltes ont avant tout une visée encyclopédique et restent marquées par une vision folklorique et coloniale de l’ethnographie. Pour reprendre les mots de Marc-Henri Piault, science humaine et technologie d’enregistrement sont alors « deux instrumentations des temps culturels et des espaces sociaux » ayant pour but « d’absorber la différence matérielle de l’autre et le réduire en image et en concepts dont s’alimentent mon regard et mon esprit », et de constituer le « monde blanc » en « espace de référence[23] ». Il faut attendre plusieurs décennies pour que les voix de ces mêmes populations soient enregistrées comme vectrices de discours, et non comme matériaux sonores exotiques.
Néanmoins, pratique phonographique et pratique enquêtrice se trouvent liées dès l’origine au sein des disciplines ethnographiques. Dans les années 1930, les collectes sonores se spécialisent pour donner lieu à ce qui sera nommé en 1950 l’ethnomusicologie, tandis que se développe l’expression sonore au sein du médium radiophonique mais plutôt sous la modalité du direct, notamment à travers le reportage radiophonique[24] et les dramatiques[25]. Une bascule intervient dans les années 1950, où apparaissent la bande magnétique et les enregistreurs portatifs. Ces nouvelles technologies, qui autorisent le montage et rendent la prise de son plus mobile, entraînent le développement d’esthétiques documentaires dans le cinéma et la radio, dans un après-guerre où la question de la représentation du réel est reposée à nouveaux frais, notamment à travers la thématique du témoignage[26]. La phonographie est alors employée pour des collectes d’un nouveau type, tournées vers le proche et les voix ordinaires et animées par des questions sociales et politiques. Ces pratiques d’enquêtes qui mobilisent les machines enregistreuses se font de manière conjointe dans un ensemble de disciplines : journalisme littéraire, photographie ou cinéma documentaire, sciences humaines et sociales de terrain qui entrent dans un tournant décolonial. On peut citer, à titre d’exemple de cette interdisciplinarité, Pierre Perrault, à la fois homme de radio, cinéaste et écrivain. À partir de 1955, il réalise sur Radio-Canada des émissions mettant en avant les voix des classes populaires rurales et urbaines québécoises, dans le contexte de la lutte pour l’autonomie culturelle du Québec et de la défense de sa langue. Il envisage ces paroles vives comme une poésie pré-artistique, une « littérature des pauvres[27] », à partir de laquelle il publie des recueils de transcriptions. Bien que marqué par un rapport assez romantique à ces voix (censées témoigner de l’esprit du peuple québécois), son travail préfigure la tâche d’« exploration de territoires sociaux[28] » qui se développe à partir des années 1970 à France Culture dans des émissions à caractère documentaire comme l’« Atelier de création radiophonique » (1969-2001), « Nuits magnétiques » (1978-1999), mais aussi dans des émissions de reportage et de critique sociale comme « Là-bas si j’y suis » (1989-2014).
Les années 1990 sont marquées par un troisième moment du « parti pris du document[29] » caractérisé par un tournant ethnographique et un mouvement global de retour du réel dans l’art[30]. Les pratiques d’enquête mobilisées dans les champs de production culturelle continuent de se diversifier et de prendre de l’importance jusqu’à devenir, selon Laurent Demanze, un « nouveau paradigme narratif[31] ». Les récits d’enquête gagnent ainsi la radio où ils donnent lieu à des formes documentaires variées : collectes de témoignages livrés en voix nue (l’émission « Les Pieds sur terre » sur France Culture est emblématique de cette forme), montages élaborés au caractère artistique affirmé (« Sur les docks » ou « L’Expérience », France Culture), des récits lus par une instance médiatique fortement identifiée et traitant d’affaires policières, juridiques ou politiques (« Affaires sensibles », France Inter). Il n’est pas rare que ce type de récits soient récompensés par des prix[32] ou fassent l’objet d’adaptations pour un autre médium[33], ce qui témoigne de leur consécration dans le champ radiophonique. Les enquêtes sonores sont également très présentes parmi les productions de podcasts natifs, où certains sous-genres comme les chroniques judiciaires et les histoires de « true crime » s’avèrent particulièrement populaires. L’exemple le plus emblématique est le podcast Serial, produit par Sara Koenig (spin off de l’émission « This American Life », WBEZ, Chicago), « premier succès fulgurant du médium[34] » avec le record de 5 millions de téléchargements sur iTunes un mois après sa sortie en octobre 2014[35]. Mais il est frappant de constater que presque tous les studios de podcasts natifs ont leur série judiciaire ou policière : « Fenêtre sur cour » chez Arte Radio, « Home(icides) » chez Slate Audio, « Le canon sur la tempe » chez Nouvelles Écoutes, « Le Grêlé » chez Sybel ; quant au studio Binge audio, il propose une série réflexive sur les récits de faits divers (« Anatomie du fait divers »). La production audio reflète en cela une fascination pour le crime et le fait divers toujours vivace depuis l’avènement de la production littéraire « criminelle », au xixe siècle[36].
2. Trois enquêtes radiophoniques contemporaines
Pour rendre compte de ce foisonnement, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité, on mènera une écoute croisée de trois réalisations contemporaines qui représentent différentes facettes de ce que peut être aujourd’hui l’enquête sonore et radiophonique. Le premier exemple est une série de treize épisodes intitulée Un micro au tribunal, réalisée par Pascale Pascariello et publiée par Mediapart en 2019. La série présente une immersion dans les tribunaux de Nanterre et de Pontoise et donne à entendre les coulisses de l’institution judiciaire. Le deuxième est la série fleuve Cerno, l’anti-enquête, lancée en 2019 par Julien Cernobori en autoproduction[37], et qui compte aujourd’hui plus d’une centaine d’épisodes. L’auteur s’y met en scène à la recherche des victimes de meurtres en série commis dans les années 1980. Enfin, La ferme où poussent les arbres du ciel est une émission unitaire de cinquante-deux minutes produite par Kaye Mortley et réalisée par Manoushak Fashahi pour « les Passagers de la nuit » en 2011[38]. La pièce raconte la quête à la fois historique et autobiographique de l’autrice qui revient dans sa ville natale sur les traces de ses ancêtres. La description des pièces prendra en compte différents angles d’analyse : celui des méthodes et postures éthiques adoptées par les auteur·ices, celui des poétiques mises en œuvre, enfin celui du type de savoir produit par ces œuvres. Les éléments d’analyse sont notamment issus d’entretiens réalisés avec les auteur·ices entre 2020 et 2023.
2.1. Pascale Pascariello, l’investigation journalistique
Pascale Pascariello se définit comme une journaliste d’investigation et conçoit l’enquête comme une élucidation rigoureuse fondée sur « un travail de vérification[39] » visant à produire une représentation fidèle de la réalité. Son travail porte sur « la parole qu’on n’entend pas[40] », des ultra-riches qui pratiquent l’exil fiscal, aux jeunes dealers des quartiers Nord de Marseille. Après des débuts à France Inter, dans l’émission « Là-bas si j’y suis », elle travaille pour « Les Pieds sur Terre » à France Culture, et pour Arte Radio. En 2019, elle intègre le pôle enquête de Mediapart. Un micro au tribunal propose une enquête sur le fonctionnement de la justice par une immersion prolongée dans plusieurs tribunaux. L’autrice s’intéresse aux audiences de mineur·es, aux comparutions immédiates et aux jugements de mise sous tutelle. Les épisodes d’une durée moyenne de quinze minutes ont une structure chronologique : rencontre avec l’inculpé·e avant l’audience, dans les couloirs ou le dépôt du tribunal, rencontre avec l’avocat·e et les accompagnant·es (famille, assistance sociale), puis audience, et discussions après le verdict entre les prévenu·es et les accompagnant·es. La voix off, lue par la journaliste, apporte dans un style impersonnel des précisions sur le cas qui va être jugé, le déroulement de l’audience, ou indique à la fin de l’épisode les suites de l’affaire. Au montage, l’écriture sonore est minimale, les effets de styles peu marqués : la voix off est neutre et descriptive, une musique ponctue discrètement les étapes de la rencontre et marque les ellipses, les ambiances sont référentielles. Sur le plan temporel, malgré un effet de plan séquence (en particulier dans les scènes d’audience), Pascale Pascariello opère une accélération du temps, qui tient peut-être au choix de souligner la rapidité des procédures de cette « justice d’abattage[41] » empêchant notamment l’appréhension approfondie des situations sociales dans lesquelles se trouvent les prévenu·es.
On distingue dans les épisodes deux situations de prise de son. Tout d’abord, l’avant et l’après de l’audience sont enregistrés avec un micro monophonique que l’autrice tient à la main. Soumise à la temporalité du tribunal, elle rencontre les prévenu·es le jour même et ne dispose que de quelques minutes pour obtenir leur consentement et les enregistrer. Elle capte des situations de dialogues (entre l’éducatrice et une prévenue par exemple), ou intervient en posant des questions aux différents acteurs. Ces moments apportent des précisions sur la complexité des situations vécues et forment un contrepoint à la scène de l’audience. Ils permettent un retour critique des prévenu·es sur un verdict souvent accablant et l’expression d’une parole plus personnelle sur leur expérience du jugement. Le choix de tendre le micro aux prévenu·es et de leur donner le dernier mot traduit une attention privilégiée à leur point de vue. Dans ces séquences, l’autrice reste assez présente, notamment au travers des questions laissées au montage, dans lesquelles transparaissent d’ailleurs des marques de compassion. En revanche, le second dispositif, à savoir l’enregistrement de l’audience, est fondé sur l’effacement de « l’instance médiatique[42] ». Six micros, préalablement disposés devant les protagonistes du procès, sont « témoins » d’une situation, qui ne dépend pas de leur présence. La démarche s’apparente à celle du « documentaire d’observation[43] » présentant le réel « sur le mode de la “transparence[44]” ». Elle est en adéquation avec un ethos journalistique fondé sur une valeur d’objectivité. Dans le cas précis du procès, ce dispositif a l’avantage de se laisser facilement oublier, mais surtout de capter toutes les voix au même niveau sonore. L’impact de la distance source-micro sur la qualité de l’enregistrement est minimisé et l’écoute « dégagée[45] ». Paradoxalement, c’est alors l’artifice de ce dispositif qui produit l’impression de transparence et permet de restituer le procès depuis un point d’écoute[46] que l’on pourrait décrire comme omniaudient. Pascale Pascariello révèle ainsi un autre dispositif de distribution de la parole particulièrement disciplinaire : celui de l’audience – autrement dit, le caractère artificiel de la parole judiciaire apparaît d’autant mieux que le dispositif de captation disparaît. L’organisation des prises de parole et la théâtralisation des échanges donnent à entendre leur violence. À l’écoute du documentaire, force est de constater que le dispositif du procès ne joue qu’en faveur de ceux qui ont déjà la maîtrise de la langue judiciaire et qu’il contribue à assigner les prévenu·es à un statut de présumé·es coupables. En enregistrant chaque voix distinctement, Pascale Pascariello souligne également la confrontation des parlers sociaux. Le ton détaché et l’accent parisien bourgeois d’une juge contraste avec les voix mal assurées de jeunes inculpés de quartiers populaires, non seulement en termes de phonostyle[47], mais aussi par le pouvoir qu’il détient d’énoncer un mode de lecture des faits, et une norme morale. Le montage sélectionne particulièrement les remarques moralisatrices des juges ou des procureurs, ainsi que les excuses et justifications des prévenu·es. Il donne ainsi à entendre de manière critique la conflictualité sociale présente au cœur des voix elles-mêmes, dans les mots employés comme dans leurs sonorités diversement situées. On peut ainsi parler d’un esthétique objectiviste qui produit une représentation se signalant comme transparente, tout en assumant, par un point d’écoute subtilement construit, un positionnement axiologique[48] – en l’occurrence, la défense des victimes du système judiciaire.
2.2. Julien Cernobori, une « anti-enquête » policière et sociale
L’approche de Julien Cernobori se distingue par une pratique de l’interview sur le vif de personnes anonymes. Il développe cette méthode à France Inter dans l’émission « Portraits sensibles » (1999-2004) animée par Kriss, puis dans « Village People » (2005-2007) qu’il co-réalise avec Aurélie Sfez. Après un passage à Binge Audio, où il produit notamment les premières saisons de la série Superhéros (2017-2020), il décide de lancer en tant qu’auteur indépendant Cerno, l’anti-enquête (2019) sur la plateforme Patreon[49]. Cette série fleuve, qui compte actuellement plus d’une centaine d’épisodes, met en scène l’auteur enquêtant sur les victimes des tueurs en série Thierry Paulin et Jean-Thierry Mathurin, des personnes âgées vivant, le plus souvent, une vie solitaire et plutôt modeste à Paris, dans les années 1980. Ce podcast s’inscrit dans le genre du feuilleton policier, et plus précisément dans le modèle du cold-case : la narration est basée sur la réouverture d’une affaire officiellement classée et sur l’idée motrice qu’il reste encore quelque chose à découvrir. Les épisodes se terminent ainsi généralement sur un cliffhanger créateur de suspense. Cependant, dès le départ, l’auditeur sait que les meurtres en question ont été résolus et leurs auteurs condamnés. Le motif de l’enquête est plutôt de « rendre hommage aux victimes[50] » – d’où le titre d’« anti-enquête » – que de remettre en question un verdict sur lequel ne pèse pas d’ambiguïté particulière. Le projet s’inscrit ainsi dans une visée éthique réparatrice[51], dirigée vers des disparues anonymes auxquelles il s’agit de redonner une épaisseur identitaire.
Les protagonistes du récit sont des passant·es rencontré·es dans la rue, des voisins ou nouveaux locataires des appartements des victimes, ou des intermédiaires ayant eu un rôle dans l’affaire. La méthode d’enregistrement de Julien Cernobori est très directe. Il aborde ces rencontres « micro ouvert » et n’hésite pas à « mettre le pied dans la porte[52] » (selon ses propres termes) pour interviewer une personne réticente au premier abord, utilisant des questions anodines pour établir et garder le contact[53]. Assumant l’aspect prédateur de ce mode opératoire, il va jusqu’à le comparer à celui des tueurs[54]. Il tient son LEM à la main, ce qui lui permet d’instaurer une forte proximité physique lors de l’interview. Ce micro dynamique monophonique lui sert également à enregistrer les ambiances – celles-ci ont alors une couleur « peu travaillée[55] », proche des voix, contrairement au traitement habituel des ambiances dans le documentaire qui se fait plutôt en stéréophonie. Au fil des épisodes, l’enquête policière devient prétexte à arpenter des quartiers de Paris, et à dresser des portraits d’habitant·es qui sont « des portraits de substitution[56] » des victimes des années 1980. Les questions posées conduisent petit à petit les interviewé·es à parler d’elle·ux-mêmes, reléguant le sujet de l’enquête au second plan. À travers ces rencontres ordinaires, des thèmes se sont comme invités d’eux-mêmes dans le podcast, à l’étonnement de Julien Cernobori : « ça parle de la vieillesse et ça c’est une grande surprise, je ne m’attendais pas du tout à faire ça[57] ». L’enquête est ainsi « moins élucidation qu’interaction avec les franges urbaines, moins interprétation d’un faisceau d’indices que description des formes de vie[58]. » Plus encore, la démarche enquêtrice se dote ici d’une double mission : tisser un lien avec et entre les vivantes, c’est combler l’oubli qui touche les mortes, réparer l’isolement et l’invisibilité sociale du passé comme du présent.
Par ailleurs, la voix de l’auteur est omniprésente, que ce soit dans le générique, dans les interviews, ou dans des moments monologués où l’auteur décrit ses déambulations et commente ses émotions. Par ces commentaires adressés à l’auditeur, il se met en scène en détective amateur pris de frissons à l’approche des scènes de crime et accompagne son enquête d’une réflexivité constante, partageant ses doutes, commentant ses échecs et réussites, soulignant les récurrences de son propre récit (« il y a toujours un chat dans ce podcast » dit-il à l’épisode 94). Si « la prise en main du récit par un “investigateur” » et « la substitution du récit du crime par celui de l’enquête[59] » sont typiques de la littérature policière depuis les années 1920, la voix de l’auteur est ici utilisée pour créer une inflation du mystère dont le récit a besoin pour se poursuivre. Les apartés de Julien Cernobori participent ainsi à suggérer des associations, convoquer des fantômes, et finalement, produire du récit à partir de tout et de presque rien, comme si l’anti-enquête devenait une machine autoréférentielle qui s’engendre elle-même. L’un des symptômes de l’auto-génération du récit est le fait qu’une auditrice fidèle en vient à s’improviser enquêtrice et propose son aide à l’auteur[60]. Celle-ci se retrouve alors intégrée au podcast comme un nouveau personnage. Cette dimension participative du podcast est aussi liée à son mode de financement : la plateforme Patreon propose aux contributeurs des avantages personnalisés (comme des échanges par messagerie ou des épisodes bonus), ce qui augmente la porosité entre l’œuvre et son auditoire mais constitue aussi un travail relationnel chronophage pour l’auteur[61]. Ce type de plateforme, si elle permet à des auteur·ices de trouver un modèle économique viable, encourage en même temps la dimension auto-promotionnelle de leur production culturelle et contribue à produire une figure néo-libérale de l’artiste en fournisseur d’histoires à la demande.
2.3. Kaye Mortley, la « promeneuse écoutante »
Kaye Mortley, d’origine australienne, appartient à la génération qui s’est formée à l’« Atelier de création radiophonique », émission-laboratoire de France Culture où le son était considéré comme la matière d’un art propre à la radio. Dans son œuvre francophone et internationale, elle a développé une esthétique de la radio comme « mind movie[62] » (film mental). Dans La ferme où poussent les arbres du ciel, elle retourne dans la ville de son enfance en quête d’éléments manquants de son passé familial. Au fil de ses recherches, remontent l’histoire du peuplement de l’Australie, avec la ruée vers l’or et de l’accaparement des terres, ainsi que celle de ses ancêtres. En termes génériques, cette pièce tient du « documentaire poétique » – qui peut se déclarer à la SCAM sous le titre « d’essai radiophonique » – caractérisé par l’importance donnée aux sons non verbaux et la construction d’un univers sonore[63].
Kaye Mortley pourrait être décrite comme une « promeneuse écoutante[64] » pour reprendre la formule de Michel Chion. Sur le terrain, elle enregistre toujours les sons avant les voix. Elle tourne en stéréophonie, ce qui lui permet de réaliser des plans larges qui donnent au décor une place fondamentale et une dimension cinématographique. Son style est impressionniste : les sons sont livrés par petites touches, mêlés les uns aux autres, dans des jeux de résonances et de correspondances. Un même son a ainsi plusieurs fonctions sémantiques : une fonction référentielle, et une ou plusieurs fonctions symboliques. Par exemple, la berceuse Twinkle, Twinkle, Little Star que l’on entend dans l’introduction qui semble chantée par un enfant de l’école que visite Kaye Mortley (sans que l’on n’en soit jamais assurée), contribue à installer la thématique de l’enfance et renvoie par métaphore à la quête des chercheurs d’or. L’écoute est ainsi une véritable méthode d’enquête, porteuse d’un mode de connaissance sensible et non rationnel. Cette importance du sonore, tient aussi à une certaine méfiance envers le langage verbal : « J’estime que ne suis pas là pour parler, à la radio – ou je parle autrement[65]. » Dans les situations d’enregistrement, Kaye Mortley évite de poser des questions, privilégiant d’autres manières de parler avec les personnes rencontrées. À l’interview guidée, elle préfère les conversations, les situations, ou choisit de ne poser qu’une question, toujours la même, qu’elle décline sous plusieurs formes – celle-ci se fait alors proposition de pensée, et n’appelle pas de réponse. La modalité interrogative est en revanche très présente dans la voix off quand celle-ci reprend des phrases entendues dans une scène précédente, ou resurgies d’un souvenir qui mettent en doute la démarche de l’autrice : « est-ce que tu as vraiment besoin de le savoir ? », « ça va servir à quoi ? » Mais Kaye Mortley écarte ces doutes en affirmant une posture désintéressée, un geste gratuit et une méthode ouverte : « ça a besoin de servir à quelque chose ? ». L’enregistrement est avant tout une manière d’être au monde : « j’enregistre parce que je suis là ». Le but de l’enquête n’est pas d’apporter une réponse aux questions initiales mais de sonder ses propres souvenirs, de parcourir sa terre natale, et d’habiter cet espace, géographique et mental, sur un mode poétique, tout en restant à l’écoute de l’impromptu. La vocation informative du documentaire est alors suspendue, au profit, d’« un exercice de perplexité », où « la dérive ou la divagation » font office « de contre-méthode[66] » pour citer à nouveau Laurent Demanze. La formule « nulle part et partout », citation d’Ubu roi reprise dans la pièce sonore, pourrait résumer cet art poétique qui consiste à chercher les résonances d’un lieu et d’une époque avec d’autres espace-temps, pour finalement admettre qu’ils échappent à toute saisie. Enfin, les rapports non systématiques entre les voix originales, celles des traducteurs et traductrices, et les voix off narratives, achèvent de poétiser l’enquête en opérant un brouillage des catégories énonciatives. Les voix en sont rendues à un état de fluidité, comme prises dans le flot de conscience d’un sujet, ou peut-être d’une multitude de sujets anonymes qui habitent et ont habité les lieux.
Si sa démarche enquêtrice a une vocation éthique, celle-ci est loin d’une critique des formes de domination sociale ou d’un exercice d’empathie réparatrice :
Au prix Europa ou ailleurs, il y a toujours un courant qui veut que la radio fasse du bien. Moi je pense que ce n’est pas là pour ça. Ce n’est pas pour guérir le monde, ce n’est pas pour sauver le monde. C’est pour faire penser le monde. Pour faire sentir des choses qui sont indicibles autrement. […] C’est l’extrême évanescence de la radio qui m’intéresse. Dans un certain type de radio, il y a des anges qui passent. Et il n’y a rien à en dire, c’est du vrai[67].
Ce serait plutôt la question de la résonance qui serait l’aboutissement de l’enquête, un « renforcement de l’intensité vibratoire[68] » d’un lieu, de blessures historiques et intimes, ou d’un « je ne sais quoi » qui échappe au langage. Dans un contrepoint à la violence des protocoles inquisitoriaux verrouillés, Kaye Mortley affirme ici une éthique de la déprise, ouverte au bruissement du monde, à l’écoute des « anges ».
Ces trois réalisations sonores actualisent ainsi sur des modes tout à fait différents le paradigme inquisitorial qui traverse les narrations contemporaines. La première est une enquête quasi ethnographique sur la justice, espérant saisir et montrer la réalité matérielle d’une institution ; la seconde, une fausse enquête policière qui devient une vraie enquête sociale, et finalement presque une fiction ; la dernière, une errance poétique qui laisse la pensée en mouvement. Elles illustrent la diversité des pratiques de terrain et des modes de relation à autrui et au monde qu’élaborent les écritures actuelles, radiophoniques, comme littéraires ou cinématographiques. Et s’il fallait nommer ce que l’enquête sonore a de spécifique vis-à-vis des autres arts, ce serait peut-être l’évanescence des signes qu’elle capture et manipule. N’existant que dans le mouvement et de source souvent incertaine, les phénomènes acoustiques sont des traces bien ténues des réalités que les chasseurs·ses de sons voudraient saisir. Peut-être l’enquête sonore est-elle alors par excellence un exercice de modestie, une recherche soumise à la contingence, aux hasards des voix et des sons.
Notes
[1] Médiamétrie et eStatPodcast, « La mesure des Podcasts en décembre 2023 », 10 janvier 2024, https://www.mediametrie.fr/fr/la-mesure-des-podcasts-en-decembre-2023, consulté le 24/01/24.
[2] Aline Caillet, L’art de l’enquête : savoirs pratiques et sciences sociales, Milan, Éditions Mimésis, 2019, p. 15.
[3] Luc Boltanski, Énigmes et complots : une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012 ; Aline Caillet, L’art de l’enquête, op. cit. ; Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, Corti, « Les Essais », 2019 ; Annick Louis, « Ce que l’enquête fait aux études littéraires : à propos de l’interdisciplinarité », Acta Fabula, 28 septembre 2013 ; Mathilde Roussigné, Terrain et littérature, nouvelles approches, Saint-Denis, France, Presses universitaires de Vincennes, 2023.
[4] Frédéric Pouillaude, Représentations factuelles : art et pratiques documentaires, Paris, Éditions du Cerf, 2020, p. 20.
[5] Ibid., p. 152.
[6] Marie-Jeanne Zenetti, « Les angles morts de l’enquête », En attendant Nadeau, 16 juillet 2019. Sur ce point voir également Mathilde Roussigné, « Le terrain : une affaire de discipline ? Généalogie d’une pratique et confluences indisciplinaires », Revue critique de fixxion française contemporaine, nᵒ 18, 2018, p. 16-29.
[7] Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête, op. cit., p. 280.
[8] En particulier au sein de l’école de Chicago, dès les années 1920. Voir Aline Caillet, L’art de l’enquête, op. cit., p. 59 et suivantes.
[9] Marie-Jeanne Zenetti, « Les angles morts de l’enquête », art. cit.
[10] Le terme de dispositif est fréquemment mobilisé pour décrire la fabrique des représentations documentaires, et la manière dont l’agencement de la situation d’enregistrement participe à orienter les comportements des personnes enregistrées. Aline Caillet en propose la définition synthétique suivante : « agencement expérimental, formel, technique et expositionnel, engageant des enjeux en termes d’epistémè […] et conditionnant à chaque fois, d’une manière singulière et inédite, une expérience sensible », Aline Caillet, Dispositifs critiques : le documentaire, du cinéma aux arts visuels, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 17.
[11] Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967.
[12] Aron Arnold & Maria Candea, « Comment étudier l’influence des stéréotypes de genre et de race sur la perception de la parole ? », Langage et société, 2015, no 152, p. 75‑96.
[13] J’emprunte cette formule au titre d’un laboratoire junior qui s’est tenu à l’ENS de Lyon entre 2018 et 2019 (« En quête de voix : Collecte, écriture et représentation des voix des autres »).
[14] Didier Fassin & Alban Bensa, Les politiques de l’enquête : épreuves ethnographiques, Paris, La Découverte, 2008. Je souligne.
[15] Pascale Pascariello, Un micro au tribunal, Mediapart, 2019, 13 épisodes entre 14 et 21 minutes, https://www.mediapart.fr/studio/videos/emissions/un-micro-au-tribunal, consulté le 24 janvier 2024.
[16] Julien Cernobori, Cerno, l’anti-enquête, autoproduction, 2019-2024, https://www.patreon.com/CERNO?l=fr, consulté le 24 janvier 2024.
[17] Kaye Mortley et Manoushak Fashahi, La ferme où poussent les arbres du ciel, « Les Passagers de la Nuit », France Culture, 19 juillet 2011, 57mn, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-atelier-de-la-creation-14-15/la-ferme-ou-poussent-les-arbres-du-ciel-5473540, consulté le 24 janvier 2024.
[18] Ludovic Tournès, Du phonogaphe au MP3. Une histoire de la musique enregistrée, xixe-xxie siècle, Paris, Autrement, Mémoires/Culture, 2008, p. 11‑14.
[19] R. M. Thibierge, Phonographie, ou peinture des sons, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1808, cité par Ibid, p. 11.
[20] Sur la « querelle de paternité » entre Thomas Edison et le français Charles Cros qui conçoit avec une légère antériorité le « paléophone », voir Ludovic Tournès, op. cit., p. 15-17.
[21] Ibid., p. 21.
[22] Maud Lecacheur, La littérature sur écoute : recueillir la parole d’autrui de Georges Perec à Olivia Rosenthal, Lyon, ENS de Lyon, 2022.
[23] Marc-Henri Piault, Anthropologie et cinéma : passage à l’image, passage par l’image, Paris, Nathan, 2000, p. 11‑17.
[24] Cécile Méadel, « De l’épreuve et de la relation. Genèse du radio-reportage », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 1992, no 19, p. 87‑101.
[25] Aline Carpentier, Théâtres d’ondes. Les pièces radiophoniques de Beckett, Tardieu et Pinter, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Médias-Recherches », 2008, p. 19 et suivantes.
[26] Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998.
[27] Pierre Perrault, Discours sur la condition sauvage et québécoise : photos et témoignages, Montréal, Lidec, 1977, p. 5.
[28] Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan, Ina éditions, « Mémoires de radio », 2013, p. 130.
[29] Jean-François Chevrier & Philippe Roussin, « Le parti pris du document. Littérature, photographie, cinéma et architecture au xxe siècle », Communications, no 71, 2001.
[30] Voir Hal Foster, « L’artiste comme ethnographe, ou la “fin de l’Histoire” signifie-t-elle le retour à l’anthropologie ? », Marine Planche (trad.), dans Face à l’histoire, 1933-1996 : l’artiste moderne devant l’événement historique, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 498-504.
[31] Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête, op. cit.
[32] On peut citer Qui a connu Lolita ? de Mehdi Ahoudig, produit par Arte Radio, prix Italia en 2014.
[33] Deux épisodes intitulés Algues vertes, le déni, issus du journal breton d’Inès Léraud diffusé dans « Les Pieds sur Terre » en 2016 ont par exemple été adaptés en bande dessinée (dans le numéro 17 de La Revue Dessinée paru en 2017) puis en long-métrage (le film Algues vertes, réalisé par Pierre Jolivet, sorti en 2023).
[34] David Carr, « “Serial,” Podcasting’s First Breakout Hit, Sets Stage for More », The New York Times, 24 novembre 2014.
[35] Stuart Dredge, « Serial podcast breaks iTunes records as it passes 5m downloads and streams », The Guardian, 18 novembre 2014.
[36] Dominique Kalifa, « Enquête judiciaire, littérature et imaginaire social au xixe siècle », Cuadernos de Historia Contemporànea, no 33, 2011.
[37] Elle s’écoute sur les plateformes agrégatrices de podcasts et sur le site Patreon.
[38] L’écriture est ici collaborative, comme l’impose le cadre de production de France Culture, v. Séverine Leroy, « Produire des documentaires de création à France Culture : la nécessité de la collaboration », Komodo 21, n°18, 2022.
[39] Entretien avec Pascale Pascariello réalisé par l’autrice, visioconférence, 2020.
[40] Clément Baudet, « Pascale Pascariello : “Provoquer la parole qu’on n’entend pas” », Syntone, 7 décembre 2017.
[41] Entretien avec Pascale Pascariello, op. cit.
[42] Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, op. cit., p. 137.
[43] Ibid., p. 29.
[44] Guy Lochard & Jean-Claude Soulages, La communication audiovisuelle, Paris, Armand Colin, 1998, p. 22.
[45] Mariane de Douhet, « Claudine Nougaret : "Il ne faut surtout pas forcer les gens à parler" », AOC, 7 février 2020.
[46] Par le « point d’écoute » je désigne le point depuis lequel la scène est perçue et représentée. Équivalent sonore du « point de vue » (expression lexicalisée dans lequel on n’entend plus qu’à peine la métaphore visuelle), le point d’écoute permet de désigner de manière plus juste la question de la focalisation (nouvelle métaphore visuelle) dans le cas des œuvres radiophoniques.
[47] Le phonostyle est le « style sonore perçu en tant que caractéristique d’un individu, d’un groupe social ou d’une circonstance particulière », selon Frédéric Antoine (éd.), Analyser la radio : méthodes et mises en pratique, Louvain-la-Neuve, De Boeck supérieur, 2016, p. 239.
[48] Pour une étude plus détaillée des ambiguïtés de la « doxa objectiviste », v. Roselyne Koren, « Argumentation, enjeux et pratique de l’"engagement neutre" : le cas de l’écriture de presse », Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, no 17, 10 novembre 2004.
[49] Patreon est un site de financement participatif créé en 2013 qui permet aux artistes d’être rémunéré·es grâce aux contributions d’une communauté d’abonné·es.
[50] Entretien avec Julien Cernobori réalisé par l’autrice, Les Lilas, 2022.
[51] Alexandre Gefen, Réparer le monde : la littérature française face au xxie siècle, Paris, Corti, « Les Essais », 2017.
[52] Entretien avec Julien Cernobori, op. cit.
[53] En entretien, Julien Cernobori raconte : « J’ai toujours adoré interviewer des vieilles dames et donc je les repère, je mets le pied dans la porte. Je les exploite d’une certaine façon, je les vampirise un peu, même si c’est pour le bien de tout le monde. Parce que je pense que ça leur fait du bien comme à moi. » Cette ambiguïté entre soin (ou care) et exploitation expose d’ailleurs Cerno à un regard sceptique sur la sincérité de sa démarche – comme le remarque Alexandre Gefen, « les écritures ou lectures remédiatrices peuvent provoquer l’admiration et l’espoir ou être au contraire renvoyées avec ironie à des pratiques utilitaristes », Alexandre Gefen, Réparer le monde, op. cit., p. 148‑149.
[54] Entretien avec Julien Cernobori, op. cit.
[55] Ibid.
[56] Ibid.
[57] Ibid.
[58] Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête, op. cit., p. 30.
[59] Dominique Kalifa, « Enquête judiciaire, littérature et imaginaire social au xixe siècle », op. cit., p. 41.
[60] Il s’agit de Lisadol à partir de l’épisode 95.
[61] Ross Bonifacio, Lee Hair & Donghee Yvette Wohn, « Beyond fans: The relational labor and communication practices of creators on Patreon », New Media & Society, no 10, 1 octobre 2023, p. 2684‑2703.
[62] Kaye Mortley, La tentation du son, Arles, Phonurgia nova éditions, 2013, p. 23.
[63] Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, op. cit., p. 161 et suivantes.
[64] Michel Chion, Le promeneur écoutant : essais d’acoulogie, Paris, Éditions Plume, 1993.
[65] Thomas Baumgartner, Kaye Mortley, micro sensible, « Mythologie de poche de la radio », France Culture, 17 août 2011, à 1mn50.
[66] Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête, op. cit., p. 31.
[67] Entretien avec Kaye Mortley réalisé par l’autrice, Paris, 2023.
[68] Jean-Marie Gleize, Le principe de nudité intégrale : manifestes, Paris, Seuil, 1995, p. 25.
Bibliographie
Pièces étudiées
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Ouvrages et sites
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Autrice
Fanny Dujardin est doctorante en recherche-création à l’université d’Aix-Marseille et travaille sur le documentaire radiophonique. Sa recherche intitulée « Écrire avec les voix des autres : esthétiques et politiques de la parole dans le documentaire radiophonique » explore dans une perspective pluridisciplinaire les aspects techniques, stylistiques et éthiques de la situation d’enregistrement et de l’écriture sonore. Sa pratique du documentaire sonore s’intéresse au rapport entre les voix, les lieux et l’histoire (avec la pièce Le Désensableur, en compétition au festival Longueur d’Ondes, 2017), puis s’oriente vers des récits polyphoniques plus directement politiques qui racontent la subjectivité des acteur·ices engagé·es dans les luttes contemporaines (La Grande Ourse, 2019). Elle reçoit la bourse Brouillon d’un rêve de la SCAM pour Les colibris du Putumayo, (projet à venir). Elle a collaboré à des émissions sur Radio Campus Paris, ainsi qu’à des radios éphémères, et a rejoint le collectif de création sonore Copie Carbone à Marseille en 2019. En 2020, elle co-réalise avec Claire Messager le projet l’Échappée, documentaire sonore qui fera partie de sa thèse.