N°11 / Visions du monde, pouvoirs d’évocation. Exotisme et pittoresque en anthropologie et en littérature

Éric Chauvier, de l’écriture de terrain à l’anthropologie de l’ordinaire

pour une nouvelle approche des ailleurs sociaux

Violaine Sauty

Résumé

Dans ses enquêtes ethnologiques – Anthropologie et Si l’enfant ne réagit pas – Éric Chauvier relate le vécu de son expérience du terrain, à la rencontre de personnes rendues invisibles par leur marginalité. Les réflexions anthropologiques se mêlent aux souvenirs personnels de l’ethnologue et tout un réseau d’observations phénoménologiques – affects, impressions, ressentis – devient autant de clés heuristiques pour sa recherche. La dimension littéraire de ses enquêtes transforme la démarche scientifique et permet de repenser l’épistémologie anthropologique. Elle est présentée comme un moyen de désamorcer l’exotisme qui menace toute approche de l’altérité, y compris celle des ailleurs sociaux. Cet article se propose donc de réinterroger la frontière entre littérature et anthropologie à la lumière de la pratique singulière d’Éric Chauvier.

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Abstract

In his ethnological surveys – Anthropologie and Si l’enfant ne réagit pas (Anthropology and If the child does not react) – Eric Chauvier shares his field experience, meeting people that marginality made invisible. The anthropological considerations blend with the ethnologist’s personal memories and his phenomenological observations – affects, impressions, feelings – turn into heuristic tools for his survey. The literary aspect of his surveys transforms the scientific approach and helps rethink the anthropological epistemology. It is a mean of refusing exoticism that threatens any approach to otherness, including those of social elsewhere. This article aims at reconsidering the frontier drawn between literature and anthropology in the light of Eric Chauvier’s singular experience.

Keywords

literature, Eric Chauvier, ethnology,  anthropology, fieldwork, phenomenology, social elsewhere

 

 

J’ignore si elle est encore en vie. J’ignore comment elle a disparu. N’ayant pas trouvé de données tangibles à son sujet, pas de registres, pas d’archives, pas même de sources orales dignes de foi, je n’ai abouti qu’à des suppositions. […] J’ai d’abord pensé que ceux qui la croisaient au quotidien étaient responsables : ceux qui ne la voyaient pas, ceux qui en parlaient sans la voir, ceux qui la voyaient sans en parler. Mais cette piste était inconséquente, parce qu’elle recouvrait une hypothèse que j’ai mis du temps à reconnaître et à accepter : la disparition de cette fille a été le fait de circonstances sur lesquelles j’ai pesé d’une façon regrettable. Celles-ci, une fois avouées, m’ont obligé à ne plus la chercher, mais à trouver les façons de la faire « réapparaître », si bien que finalement l’objet de l’enquête s’est confondu avec l’enquête elle-même [1].

Ces premières phrases d’Anthropologie (2006) dessinent bien la particularité des récits d’enquête d’Éric Chauvier, à mi-chemin entre ethnologie et écriture littéraire. L’auteur n’explore pas un ailleurs géographique mais un ailleurs social, dont la différence est dérangeante parce qu’elle est le produit de la misère d’un pays qui n’a rien d’exotique justement : le nôtre. À l’image de cette jeune fille rom disparue et que Chauvier recherche en vain dans Anthropologie, ces populations socialement déclassées en France sont avant tout à la marge du langage, indicibles parce qu’invisibles, a priori désincarnées parce que sans voix. Comme les mots échouent bien souvent à dire la différence, il y a dans l’anthropologie actuelle une survivance de l’exotisme qu’Alban Bensa déplore dans La Fin de l’exotisme [2]. Cet exotisme latent naît, selon lui, de l’écart entre la pratique de terrain et la reprise théorique à l’écrit. L’anthropologie est parfois considérée comme une science purement objective alors qu’elle se fonde sur un travail de terrain, expérience qui est nécessairement celle d’une subjectivité.

Cette distance prise avec l’objectivisme provient d’une longue remise en question de l’anthropologie, amorcée dans les années 1970 aux États-Unis, au sujet notamment de sa restitution à l’écrit. Alors que Clifford Geertz avait déjà pointé l’importance de l’écriture de l’anthropologie [3], la publication de l’ouvrage collectif Writing culture. The poetics and politics of ethnography [4] en 1986, véritable rupture dans la discipline, est depuis considérée comme le déclencheur du tournant de la critique postmoderne. Plusieurs anthropologues influents outre-Atlantique, dont George Marcus, James Clifford et Paul Rabinow, proposaient dans ce recueil d’articles de repenser en profondeur la fabrication des textes ethnographiques. Leur but était ainsi de mettre en lumière, pour les éviter, les facteurs extérieurs qui influent sur l’écriture anthropologique et affectent la fiabilité des résultats au retour des missions ethnographiques. Le livre de Johannes Fabian, Time and the Other, publié en 1983, également porteur d’une telle remise en question, trouve sa place dans ce renouveau méthodologique. Il y rappelle qu’ « […] il n’y a pas de connaissance de l’autre qui ne soit aussi un acte temporel, historique et politique [5] » et ramène ainsi le contexte de l’enquête in situ au centre du travail savant. Alors que la prise en compte de l’expérience partagée sur le terrain avec la population observée est primordiale pour éviter de la réduire à une altérité fabriquée de toutes pièces, Johannes Fabian constate que ce « temps partagé » disparaît dans l’écriture anthropologique savante. Il définit ce « déni de co-temporalité » comme « une tendance persistante et systématique à placer le(s) référent(s) de l’anthropologie dans un Temps autre que le présent du producteur du discours anthropologique [6] ». En dehors de son questionnement rhétorique, le tournant critique a donc eu pour effet de centrer davantage la discipline sur sa part ethnographique et de favoriser la réflexivité du scientifique sur son propre rapport au terrain. Éric Chauvier inscrit son ouvrage méthodologique Anthropologie de l’ordinaire [7] dans la continuité de ces réflexions, tout en consacrant une attention particulière aux situations de communication qui surviennent dans cette co-temporalité. L’importance donnée à ce « temps partagé », qu’il appelle « l’ordinaire » de l’enquête, redéfinit sa posture d’ethnologue : il se veut avant tout homme parmi les femmes et les hommes sur le terrain et s’inclut dans l’observation [8].

Cette démarche est mise en œuvre dans les deux enquêtes qui nous intéressent ici : Anthropologie et Si l’enfant ne réagit pas[ 9]. La première débute par le regard d’une jeune fille rom mendiant à un carrefour : un regard « à la fois opaque et lumineux, […] verrouillé et infiniment léger [10] » qui paralyse l’auteur. Il décrit ce trouble comme « une impression de familiarité rompue [11] » tant il lui semble reconnaître cette inconnue. La singularité de ce ressenti l’entraîne dans la recherche vaine de cette jeune fille, recherche doublée d’une traque minutieuse du langage, à contre-courant de l’invisibilité des marges sociales dont elle est issue. Le deuxième ouvrage Si l’enfant ne réagit pas, fait suite à une commande institutionnelle : Éric Chauvier est amené à observer le quotidien d’un centre fermé pour adolescents en grande difficulté sociale. Malgré son souci de préserver le sérieux méthodologique de son observation, il est bientôt totalement bouleversé par la voix « désaffectée » d’une pensionnaire. Cette voix fait émerger en lui une réminiscence familiale : le souvenir douloureux et enfoui de la maladie de sa mère.

L’ethnographie d’Éric Chauvier se détourne peu à peu du sujet observé pour se transformer en une exploration à la fois psychologique et réflexive. L’objet de l’enquête devient l’expérience du terrain – son vécu et ses troubles – plutôt que le terrain lui-même – la mendicité ou l’institut pour adolescents. Ce retournement réclame une narration littéraire, affranchie des normes académiques, qui semble plus à même de déceler toutes les nuances du vécu de l’enquête. Cela a valu à l’auteur quelques critiques quant au sérieux de sa démarche scientifique. Ainsi, selon Noël Jouenne, dans un article de la revue L’Homme :

Le projet anthropologique repose ici sur un style littéraire plutôt que sur une démarche construite sur la base d’une histoire de la pensée anthropologique. […] Très habilement, l’auteur se dédouane d’une ambition plus pragmatique qui serait, par exemple, d’approfondir la connaissance d’un domaine [12].

Cependant, il serait intéressant, justement, d’envisager les travaux d’Éric Chauvier comme une manière de repenser l’épistémologie anthropologique sur un mode littéraire, tant du point de vue de l’écriture que de la pratique de terrain elle-même. Cette dimension transforme la démarche scientifique, en effet, et ne se limite pas à l’aspect formel. Éric Chauvier ne développe-t-il pas ce que l’on pourrait appeler une pratique littéraire de terrain dans la mesure où il semble « se donner » à l’enquête d’une façon visiblement peu académique ?

Je me propose donc de réinterroger la frontière entre littérature et sciences sociales, et plus particulièrement anthropologie, à la lumière des deux enquêtes d’Éric Chauvier. Si mon propos n’a pas la prétention de juger la méthode ethnographique actuelle dans son ensemble, il a en revanche vocation à étudier la pratique singulière de l’auteur pour comprendre comment la dimension littéraire de son ethnologie permet de la dégager à la fois de l’objectivisme et de l’inclination à l’exotisme. J’aborderai cette dimension littéraire selon trois versants : la conception de l’anthropologie chez Éric Chauvier, sa posture d’ethnologue et sa pratique du terrain.

1. L’anthropologie selon Éric Chauvier ou l’anti-exotisme du langage
 

1.1. L’exotisme du langage scientifique

Selon la définition de Jean-François Staszak, l’exotisme est avant tout le discours d’une approche de l’altérité, une façon d’en rendre compte : « l’exotisme n’est jamais un fait, ni la caractéristique d’un objet : il n’est qu’un point de vue, un discours, un ensemble de valeurs et de représentations à propos de quelque chose, quelque part ou quelqu’un [13]. » Tout discours étant socialement situé – de par la langue, la culture, l’origine sociale de l’énonciateur – l’exotisme comme discours peut donc être appréhendé comme un regard surplombant qui suppose une hiérarchie entre un dominant imposant son mode de communication et un dominé stigmatisé par le langage.

L’exotisme ne se réduit pas à ces rapports de domination mais cette dimension permet de mettre en lumière une problématique liée au langage. Dans la mesure où il résout l’aller-retour entre l’autre et moi-même, à savoir entre un ailleurs, étrange et étranger, et un ici intérieur porté par des repères, le langage risque à tout moment de devenir exotique. Pour Alban Bensa, comme pour Éric Chauvier, il persisterait un exotisme du langage, et plus particulièrement un exotisme du langage scientifique de l’anthropologie. Le discours anthropologique a pour objectif de rendre compte des résultats d’une enquête à ceux qui ne l’ont pas vécue. Or, s’il est trop coupé du contexte du terrain, il peut s’enfermer dans une artificialité généralisante, certes plus propice à la communication mais plus éloignée de la réalité.

Par ailleurs, dans Anthropologie de l’ordinaire, Éric Chauvier met en garde l’ethnologue contre la dimension classificatoire du langage [14]. Il fait notamment référence aux travaux de Jeanne Favret-Saada [15] dont l’expérience dans le bocage mayennais auprès de praticiens de la sorcellerie lui a permis justement de déconstruire la sorcellerie comme catégorie. Le récit qu’elle fait de l’ordinaire de l’enquête, de ses anomalies, de son étrangeté, vient invalider le métadiscours académique et proposer à la place « une théorie analytique intégrant la communication avec ses observés [16] » dans un retour continuel aux détails vécus in situ. En effet, à travers cette idée d’une persistance de l’exotisme, il est possible de considérer que termes savants et images pittoresques fonctionnent sur le même mode. Efficaces en ce qu’ils frappent les yeux comme l’esprit, les images pittoresque créent un « déjà-vu [17] » et les mots un déjà-lu. Toujours selon Jean-François Staszak, le pittoresque est un processus de domestication de l’étrange. Il permet de cadrer l’altérité pour la rendre plus rassurante comme le font la classification ou le langage théorique. Quand de grands concepts font autorité, ils aplanissent les aspérités – anomalies et nuances – du terrain. Éric Chauvier nomme cela « la psychopathologie du langage ordinaire » et en décline les différentes formes dans Les Mots sans les choses [18]. De même que l’ouverture à l’autre risque l’enlisement exotique, l’objectivité scientifique peut se convertir en une théorisation réductrice de l’autre. Éric Chauvier ne prétend pas révolutionner sa discipline mais en recentrant le propos anthropologique sur sa source première – l’expérience du terrain et son récit –, comme d’autres l’ont fait avant lui, il propose une approche épistémologique différente.

Dans la lignée des travaux de Clifford Geertz et James Clifford qui rappelaient tous les deux que l’ethnographie est par définition une « mise à l’écrit » et donc un récit construit, partial et partiel [19], Éric Chauvier souhaite faire de l’incomplétude inhérente à toute enquête de terrain le moteur de son travail de recherche. La singularité du vécu de l’expérience, et particulièrement ses incompréhensions et ses échecs, sont donc sans cesse ramenés au premier plan de son récit. Il est évident que le terrain est pour tout ethnologue une expérience avant tout subjective dont il ne sort pas inchangé. Elle est si marquante qu’elle donne lieu à ce que Vincent Debaene nomme un « deuxième livre ». Il constate ainsi dans L’Adieu au voyage, que « presque tous les ethnographes français qui sont partis sur le terrain avant 1939 ont écrit au retour non seulement une étude savante sur la population auprès de laquelle ils avaient séjourné, mais aussi très souvent, un deuxième livre, un ouvrage plus “littéraire”, en tout cas qui ne respectait pas la forme canonique de la monographie savante [20] ». S’il s’agissait là d’un regard rétrospectif, plus subjectif, sur l’expérience de terrain, il n’en est pas de même de la pratique d’Éric Chauvier qui se nourrit du tournant postmoderne survenu plusieurs décennies après la publication des deuxièmes livres étudiés par Vincent Debaene. Il n’y a, chez lui, qu’un seul livre : le récit chronologique de ses enquêtes où chaque échec est relaté, chaque malaise décortiqué, dans la perspective même du raisonnement anthropologique.

Prenons pour premier exemple l’ouvrage Anthropologie. L’inquiétante étrangeté du trouble ressenti en croisant le regard de cette jeune mendiante qu’il appellera X, puis Ana, oriente l’enquête, lui donne un sens. Pourtant cette enquête commence par un échec déguisé : Éric Chauvier met en place une « installation » expérimentale, qu’il nomme « jeu des postures [21] ». Il s’arrange pour passer en voiture devant X, accompagné chaque fois d’une personne différente, le but étant d’extirper un commentaire au sujet de X. Les réactions très diverses lui dévoilent les efforts déployés par chaque personne pour ne pas voir X et la misère qu’elle incarne. En revanche, ce système théorique ne lui apprend rien sur ce qu’il ressent :

Ainsi, j’ai l’impression qu’en adoptant cette forme d’observation indirecte, je suis moi-même en train d’étouffer la biographie de X – ce que, précisément, je reproche à ceux qui participent à ces petites installations. […] Le jeu des postures est lui-même une posture, et pas la plus bienveillante à l’égard de X ; […]. Ce programme est un leurre, une fuite devant la possibilité d’une rencontre qui s’imposait mais que, par prudence ou par timidité, je n’ai pas osé provoquer [22].

Éric Chauvier prend donc la décision de parler à X. Ironie du sort : c’est au moment précis où il décide d’aller à sa rencontre qu’elle devient introuvable. L’auteur entreprend alors une longue et vaine recherche. Il s’appuie sur le souvenir puissant du trouble ressenti sous le regard de X. Cette impression singulière devient le moteur de sa recherche, ce qu’il appelle un « panel d’impressions rares [23] » qui repousse sans cesse la menace du langage conventionnel ou scientifique. Menace concrétisée notamment par l’hypothèse d’un ami qui constate : « Moi je pense que tu es amoureux de cette fille [24]. » Sidération de Chauvier dans un premier temps, « serais-je amoureux d’Ana ? », suivie bientôt par une longue réflexion sur le mot « amoureux », son pouvoir de séduction de par le « hors-champ qu’il suggère [25] », la douceur et la facilité de l’explication qu’il propose et bientôt l’écueil qu’il dissimule : ce mot devient court-circuit à la recherche, « couperet [26] ». Il est un exemple parfait de l’exotisme du langage parce qu’il enrobe le sens et porte une évidence qui force l’interprétation. Ce mot met en danger l’impression rare en domestiquant l’étrangeté au profit de la communication humaine :

Une fois admis que la contemplation d’une familiarité rompue ne peut se traduire dans l’évidence a priori du langage social, une fois admis qu’elle est sans mot, sans voix, sans clarté, sans outil adéquat […] dans quelle mesure suis-je prêt à sacrifier la communication, c’est-à-dire le mot « amoureux », pour tenter autre chose [27] ?

Si ce livre ne nous offre pas une monographie de la communauté rom, ni une analyse fouillée de la mendicité, il illustre, bien plus qu’il ne glose, le piège des mots pour les sciences humaines qui se pencheraient sur ces sujets.

1.2. Anthropologie et littérature, un objectif commun

La définition que donne Éric Chauvier de l’anthropologie dans cette œuvre est révélatrice de cet exotisme latent des mots : « Ce que je nomme pour moi anthropologie, ce programme de recherche, cette ligne de conduite, conçoit le langage comme un abus permanent produit par et pour la communication. L’anthropologie déjoue les pièges du langage [28]. » Cette représentation de l’anthropologie est assimilable à celle qui prévaut généralement au sujet de la littérature : entreprendre les mots pour contourner la pauvreté de la communication humaine et dépasser l’aporie du langage. Éric Chauvier rejette donc l’écriture conventionnelle et naturaliste d’un monde-objet dont l’objectivité est illusoire, au profit d’une écriture littéraire capable de rendre compte d’un monde-vécu qui reposerait sur la transcription subjective de l’enquête de terrain. « Exprimer l’ordinaire [de l’enquête] nous contraint effectivement à l’inventivité et à nous poser des problèmes de mises en forme spécifiquement littéraires [29] », remarque-t-il, et « c’est en cela – dans cette voix de vérité – que l’écrivain et l’anthropologue partagent une raison littéraire [30] ». Cependant, Chauvier borne ainsi le rapprochement entre ethnologue et écrivain au champ de l’écriture et, ce faisant, il réitère la frontière conventionnelle entre eux : la littérature – par exemple celle de Proust qu’il cite longuement – serait totalement dévolue à l’écriture alors que l’anthropologie conçoit l’écriture comme une technique de restitution d’une vérité de l’enquête scientifique. Pourtant, la littérarité que revendique Chauvier dépasse justement le seul moment de la mise en forme et intervient déjà dans la pratique du terrain.

2. Repenser le lien entre l’observateur, l’observé et le lecteur
 

2.1. La domination symbolique de l’observateur

Le risque exotique apparaît avant tout sur le terrain de l’observation ethnographique. En effet, l’histoire de la discipline montre que la méthodologie de l’enquête a évolué dans le sens d’une remise en question de la posture de l’ethnographe. C’est particulièrement le cas depuis les années 1970, après que de nombreux anthropologues ont renoncé aux études exotiques et aux voyages suite à la décolonisation. Or cette remise en question passe principalement par l’écriture. James Clifford a ainsi montré que la prise de conscience d’un impérialisme anthropologique, puis son rejet, ont permis peu à peu une dilution de l’autorité monophonique de l’auteur ethnographe dans les textes anthropologiques [31]. En France, le développement de l’ethnologie du territoire national a notamment porté l’attention des chercheurs vers des zones marginalisées, au risque de réitérer parfois les travers exotiques ou folkloristes [32]. Dans ce contexte, les travaux de Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie dans le bocage mayennais ont bouleversé les habitudes ethnographiques. Elle montre, dans Les Mots, la mort, les sorts [33], la nécessité pour l’ethnographe de se laisser affecter par le terrain et l’importance de rendre compte ensuite des conditions de la pratique de l’enquête. Florence Weber poursuit cette réflexion en mêlant ethnométhodologie et phénoménologie. Dans Le Travail à côté [34], elle estime aussi qu’une phase d’auto-analyse est indispensable, parce que traiter l’ethnographe comme un enquêté est la seule manière de désamorcer son ethnocentrisme. C’est dans cette même perspective qu’Alban Bensa rappelle que l’ignorance des détails ethnographiques entraîne l’émergence de « fictions exotiques [35] » dans certains ouvrages de la discipline.

Fortes de ce passé épistémologique qui a totalement renversé le regard de l’ethnographe européen, les enquêtes d’Éric Chauvier ont justement la particularité de mettre en scène le chercheur au prise avec ces difficultés méthodologiques sur le terrain. En effet, dans Si l’enfant ne réagit pas, lors du repas partagé avec les adolescents qu’il observe, Éric Chauvier ne peut s’empêcher de ressentir un certain dégoût : « je me vois dans le rôle de ces grands bourgeois humanistes qui, mi-excités mi-révoltés, contemplent en circuits organisés la misère prétendument exotique des tropiques. J’éprouve une absolue répulsion pour le frisson qu’ils ressentent et qui pimente leur vie [36]. » D’ailleurs, l’enquête commence mal à cause d’une suite d’erreurs : l’auteur endosse tout de suite le rôle de l’observateur distant, puis justifie mal son activité lorsqu’on l’interroge sur sa présence et annote son carnet sans discrétion. En se donnant ce statut de scientifique, il rend sa présence fonctionnelle et se coupe de la réalité des adolescents. Ainsi protégé par sa posture de savant, il déforme ses observations et se perd dans des interprétations hâtives. L’ethnographe est tenté d’empaqueter le réel dans des « fictions théoriques [37] » ; si cela peut lui procurer une assise au moment de l’observation, ces modèles conceptuels plaqués sur la réalité représentent aussi un risque pour la qualité de l’enquête. Les regards des jeunes gens vont vite le rappeler à l’ordre : « je réalise, avec un sentiment diffus de honte, que j’ai sous-estimé leur capacité à critiquer ma position [38] », avoue-t-il. En procédant ainsi, l’auteur parvient à faire accéder le lecteur à un autre niveau d’analyse qui ne privilégie plus l’étude seule du terrain mais se recentre sur l’interaction de l’enquêteur avec un terrain qui lui échappe.

2.2. Une démarche phénoménologique vers l’appariement des consciences

J’ai déjà évoqué l’ouvrage Anthropologie de l’ordinaire dans lequel Éric Chauvier s’attache à repenser la méthodologie de l’ethnographie pour ré-humaniser l’observation des exclus. Il s’inscrit pour cela dans la lignée de la phénoménologie de Husserl [39], soit une méthode prônant un « retour aux choses » et une description rigoureuse du champ de l’expérience. La nécessaire « conversion du regard » que promeut Éric Chauvier suit le même renversement que celui qui caractérise le passage du phénoménisme à la phénoménologie : l’intérêt n’est pas d’envisager l’objet en lui-même, vu de l’extérieur, mais de comprendre la manière dont il « se donne » à la conscience. Ce déplacement de l’approche d’un monde-objet vers un monde-vécu est de type réflexif. Il suppose deux choses : une attention particulière à la praxis du scientifique sur le terrain, ainsi qu’une remise en question permanente de l’approche de l’altérité et notamment du déterminisme culturel qui la conditionne. En effet, comme le fait par exemple remarquer Johannes Fabian, le parti pris scientifique en faveur du sens de la vue dans la pratique ethnographique, à l’encontre des autres sens ou du ressenti, est « une question de choix culturel plutôt que de validité universelle [40] », dans la droite ligne de la tradition empiriste.

La méthode phénoménologique telle que la conçoit Éric Chauvier renvoie l’enquêteur à son statut de conscience parmi les consciences. Éviter le langage théorique qu’il considère comme formaté permet, selon lui, de ne pas nier l’irréductible spécificité des ressentis. Éric Chauvier transforme donc sa pratique pour tendre vers un « appariement des consciences [41] » qui inviterait le lecteur dans le vécu de l’expérience de terrain. Alors que l’approche exotique compartimente les trois instances observés/observateur/lecteurs, l’appariement des consciences tendrait, elle, à les rapprocher [42]. Considérer l’expérience de l’enquête comme partageable avec le lecteur permet finalement de la concevoir aussi comme un accès direct à la connaissance. La singularité de l’expérience subjective de l’ethnologue est capable de toucher le lecteur et de lui permettre ainsi de s’approprier le monde vécu de l’observateur dans toutes ses nuances. Dans cette perspective, l’écriture littéraire serait un moyen de partager l’expérience de terrain sur un mode phénoménologique.

Comme le signale Vincent Debaene [43], la nécessité de l’écriture littéraire pour atteindre une évocation plus fidèle de la réalité est un argument récurrent des ethnologues pour justifier la publication d’un « deuxième livre ». Pourtant dans le cas des ouvrages d’Éric Chauvier, l’écriture littéraire ne se limite pas à un mode d’expression. Rendre compte des impressions fugaces, subjectives, permet d’interroger son propre regard, d’analyser les échecs et de contourner des termes englobants qui amputeraient le travail de recherche. L’écriture littéraire participe ainsi totalement à l’entreprise scientifique. Il ne s’agit donc pas seulement d’un outil stylistique ou rhétorique mais bien d’un mode de connaissance à part entière. C’est d’autant plus vrai que Chauvier exclut absolument toute fictionnalisation du réel, alors même qu’elle est une tentation de l’enquête, tentation qu’il fait d’ailleurs apparaître dans son récit pour la mettre à distance. L’absence de la jeune fille rom recherchée incite à imaginer sa vie, les raisons de sa situation, et c’est ce que font les deux assistantes sociales qu’il rencontre, en amalgamant la vie de X à celle d’une adolescente en fugue. Chauvier résiste pourtant à toute appropriation abusive de la biographie de cette inconnue, au nom de la réalité scientifique de l’enquête justement. Littérarité n’est pas synonyme de fiction. Si l’authenticité du vécu de l’enquête ne peut souffrir aucun cliché, au sens premier d’image figée, elle ne peut se partager que sur le mode de l’inachevé, du détail et de la frustration. Accepter que X reste un mystère est la clé pour percer celui du ressenti de l’ethnologue et ainsi faire de son enquête une démarche purement phénoménologique. À la suite de James Clifford [44] et des postmodernes, Éric Chauvier réitère à sa façon l’idée que l’anthropologie est par définition partielle parce que cette incomplétude assure la validité scientifique.

3. L’ethnologue, écrivain sur le terrain des ailleurs sociaux
 

L’anthropologie, telle que la conçoit Éric Chauvier, possède une dimension littéraire à la fois dans son rapport à la langue et dans son rapport à l’expérience. Cette double dimension littéraire tend à désamorcer les a priori exotiques et transforme la pratique de terrain. Si l’on peut facilement concevoir les livres de Chauvier comme de la littérature, est-il possible de parler de ses enquêtes comme d’une pratique de terrain d’écrivain ?

3.1. L’affect, une garantie contre l’exotisme du langage

Nourri par les théories de Harold Garfinkel sur les « breaching experiences [45] » et par celles de Jeanne Favret-Saada [46] sur l’importance des affects dans l’enquête de terrain, Éric Chauvier fait appel à ce qu’il nomme une « heuristique du trouble [47] ». Dans le prolongement de sa démarche phénoménologique, il considère ses ressentis comme une forme de connaissance immédiate et fugace, de l’ordre de l’impressionnisme et estime qu’ils doivent être traités comme des objets de recherche à part entière. Dans ses deux enquêtes, les affects de l’ethnographe ont donc un rôle central et débordent le protocole d’observation.

Lorsqu’il enquête dans l’institut pour adolescents, sa posture d’observateur distant se fissure lorsqu’il entend la voix de Joy. Cette voix qu’il dit « spectrale », « bruyante et désertée [48] », porte en elle une inquiétante étrangeté. « Elle semble désaffectée, privée des modulations qui donnent à la voix son caractère humain [49] ». L’anomalie de la tonalité le touche d’une façon telle qu’elle fait émerger en lui « une douleur insondable [50] ». Il tente dans un premier temps de l’ignorer. Pourtant le trouble s’intensifie à chaque fois que Joy parle. L’agitation intérieure transforme peu à peu la pratique de terrain de l’ethnologue. L’objectivité scientifique exigerait de lui qu’il contienne cette urgence psychologique afin de poursuivre son travail mais Éric Chauvier multiplie les allers-retours aux toilettes pour réécouter chaque nouvel enregistrement de cette voix. L’anomalie devient obsession. Si cette crise psychologique le détourne d’une pratique orthodoxe de l’enquête, elle le focalise sur Joy et sur la souffrance masquée dans sa voix. Elle révèle également l’indicible de cette souffrance dans une institution qui, comme la science, a tendance à formater le langage en imposant un vocabulaire et des catégories. Éric Chauvier vit cette observation à travers la réminiscence de la maladie de sa mère. En cela il est certainement plus proche de la réalité de Joy que n’importe quel intervenant social ce soir-là :

Il me semble […] que ce retour sur mon propre vécu ne marque pas un déni de la souffrance de Joy, mais, au contraire, une façon de m’y connecter pour la comprendre un peu, sans l’étouffer, en laissant simplement vivre les anomalies qui relient nos deux existences, ces anomalies que, sous une autre forme, je ne voyais pas sur la berge de l’étang familial [51].

La même présence de l’affect comme clé heuristique se retrouve également dans Anthropologie. Le souvenir du trouble ressenti sert de guide ; Éric Chauvier y revient chaque fois que son enquête piétine. Parce que ce trouble explique la douleur de l’absence de X, il est le moteur de cette recherche bien plus qu’une éventuelle hypothèse scientifique à vérifier.

Chacun de ces récits se tisse donc autour d’une anomalie survenue dans l’ordinaire de l’enquête : la voix de Joy dans Si l’enfant ne réagit pas, le regard de X dans Anthropologie. Elles provoquent ce que Chauvier appelle des « expériences de savoir ». L’affect sert de point de repère et permet de réajuster à tout moment la pratique de terrain. Dans un premier temps, il déclenche les étapes du raisonnement ; il réoriente ensuite la pratique de terrain chaque fois que la posture du scientifique prend le dessus ou que le pouvoir exotisant du langage menace. Paradoxalement, la subjectivité de l’expérience préserve la justesse du propos alors que l’exigence scientifique d’objectivité génère un exotisme déformant.

3.2. De l’enquête de l’ethnographe à la quête de l’écrivain

Le mot « quête » apparaît dans Anthropologie, lorsqu’Éric Chauvier cherche la trace de la jeune fille auprès d’associations [52]. Si l’enquête est une investigation protocolaire et méthodique, la quête relève davantage de la recherche obstinée dont la dynamique est avant tout celle de l’intime. Ce glissement est révélateur de la transformation qui s’opère dans la pratique de terrain d’Éric Chauvier. Quatre effets dûs à ce changement peuvent être relevés :

– L’attention extrêmement minutieuse portée sur les anomalies répond au souci de conserver « le panel d’impressions rares » recueillies sur le terrain ;

– L’apparition progressive d’une urgence dans l’enquête est due à un investissement émotionnel croissant de l’enquêteur. Dans Si l’enfant ne réagit pas, Éric Chauvier s’enferme pas moins de neuf fois aux toilettes en trois heures pour réécouter ses enregistrements, avant de quitter précipitamment l’internat à minuit, dans un état de « trouble absolu » ;

– L’urgence qui saisit l’ethnologue va de pair avec l’émergence d’une angoisse. Le récit de l’enquête dans le centre fermé pour adolescents se cristallise autour de motifs répétitifs : ces neuf allers-retours aux toilettes, le poster de Britney Spears est décrit six fois, par cinq fois la voix de Joy est suivie d’un claquement de porte rageur, les références à des films d’épouvante reviennent également à plusieurs reprises. Ces leitmotive sont un parti pris littéraire qui inscrit l’asphyxie inhérente à la voix de Joy dans le récit ;

– Le retournement de l’enquête survient au moment où la réflexivité s’intensifie et prend le pas sur le protocole scientifique ; l’objet de l’enquête devient alors l’expérience de terrain et non plus le terrain lui-même.

Finalement, in situ, Éric Chauvier associe deux pratiques qu’il considère comme complémentaires : d’une part celle de l’ethnologue soucieux de noter dans son carnet toutes les médiations de l’expérience qui rendent la connaissance de l’altérité possible, d’autre part celle de l’écrivain, plus impressionniste, qui parvient à sauver les affects dans toutes leurs nuances. Chacune de ces deux pratiques dépend de l’autre. C’est pourquoi l’enquête de Chauvier ne peut donner lieu à deux livres distincts, l’un pour le compte-rendu savant, l’autre pour le récit de l’expérience. Expérience de terrain et écriture s’auto-conditionnent et se créent ensemble. La littérarité des écrits d’Éric Chauvier a une dimension heuristique puisque le récit subjectif permet de faire des affects le point de départ d’une réflexion scientifique. Cela rejoint le propos d’Alban Bensa et de François Pouillon dans l’ouvrage Terrains d’écrivains : « […] dans le domaine de l’ethnographie par la réflexivité, les écrivains ont plusieurs longueurs d’avance, tout simplement parce qu’ils s’autorisent à se penser comme des composantes du monde qu’ils décrivent [53] ».

Les enquêtes d’Éric Chauvier ne sont pas à mi-chemin entre ethnologie et littérature, elles sont littéraires parce qu’elles sont ethnologiques et vice versa. Sur le terrain comme à l’écrit, l’impressionnisme prime pour dépasser la pauvreté du langage. Dans sa pratique particulière d’anthropologue, la dimension littéraire lui permet d’éviter l’écueil de l’exotisme, c’est-à-dire le risque d’une déformation de la réalité du terrain qui proviendrait tant de son ethnocentrisme que de sa posture de scientifique ou du jargon théorique.

Ces travaux interrogent la frontière entre littérature et ethnologie. La conversion du regard phénoménologique se joue dans le brouillage de cette frontière entre l’objectivité convenue des sciences et la prétendue subjectivité de la littérature. Selon Vincent Debaene, cette question ne peut se résoudre par l’abandon d’une distinction entre science et littérature dont les champs, d’après lui, ne peuvent se rencontrer : « les logiques de qualification d’un texte comme “scientifique” ou comme “littéraire” sont simplement hétérogènes puisque, dans un cas, on évalue une pertinence et, dans l’autre, on désigne une appartenance [54]. » Il explique ainsi que la littérature n’étant légitimée que par une logique de consécration, le travail de l’écriture ne garantit pas l’intégration d’un texte à la littérature tout comme une démarche scientifique ne l’en exclut pas non plus. Pourtant, un texte savant, « pertinent », qui ferait d’une écriture « littéraire » un soubassement méthodologique, prendrait le risque de se voir exclu du champ scientifique. La liberté littéraire que s’autorisent de plus en plus de chercheurs dès leurs écrits savants et non plus uniquement dans un « deuxième livre », semble donc amorcer une remise en question de la frontière institutionnelle de l’écriture des sciences humaines et sociales, longtemps contrainte par des normes académiques. Les travaux d’Éric Chauvier tendent ainsi à renverser notre vision de la science et à montrer qu’une écriture plus subjective, moins exhaustive, peut aussi être gage d’une plus grande honnêteté intellectuelle. De plus, ils invitent à penser ce brouillage non plus comme une question de situation dans les champs littéraire ou académique, mais comme une véritable problématique épistémologique puisqu’il peut entraîner un changement dans la pratique même de l’enquête de terrain. Nous l’avons vu, la perspective d’une écriture moins contrainte transforme la méthodologie ethnographique de Chauvier, change son approche de la réalité sur le terrain et l’ouvre à d’autres pistes. La littérarité se donne alors non plus seulement comme un mode d’expression mais également comme un mode de connaissance qui tendrait, dans le cas de Chauvier, à désamorcer l’exotisme du regard de l’ethnographe sur l’altérité.

Cette contiguïté des sciences humaines avec la littérature est confirmée en ce qu’ethnologie et littérature connaissent toutes deux une même tendance depuis quelques années vers un retour à la réalité vécue sur le terrain. Il existe ainsi dans la littérature contemporaine, un renouvellement de la pratique de l’enquête, qui donne lieu à des récits non fictionnels que l’on pourrait appeler « écritures de terrain ». Des auteurs comme François Bon [55], Florence Aubenas [56] ou Philippe Vasset [57] réinterrogent le rapport de l’écrivain à la réalité des marges sociales à travers des formats d’enquête innovants, tout comme Éric Chauvier. Ce besoin de relier la pensée à l’expérience vécue en faisant appel à une écriture plus littéraire se généralise également dans l’ensemble des sciences humaines et sociales : en sociologie [58], en histoire [59], en géographie [60]. Peut-on voir dans ce mouvement commun un tournant épistémologique et littéraire ? Dans l’élan de cette interrogation, nous achèverons cet article comme nous l’avons commencé, en citant Anthropologie, les derniers mots cette fois : « L’enquête est vouée à continuer [61]. »

Notes
 

[1] Éric Chauvier, Anthropologie [2006], Paris, Allia, 2011, p. 7.

[2] Alban Bensa, La Fin de l’exotisme : essais d’anthropologie critique, Toulouse, Anacharsis, 2006.

[3] Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973.

[4] James Clifford, George Marcus (dir.), Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986.

[5] Johannes Fabian, Le Temps et les autres [1983], traduit de l’anglais par Estelle Henry-Bossonney et Bernard Müller, Toulouse, Anacharsis, 2006, p. 26.

[6] Ibid., p. 72.

[7] Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire, Toulouse, Anacharsis, 2011.

[8] « […] je propose d’envisager le “temps partagé” de la relation observateur-observé comme une situation de communication étudiable en tant que telle. […] Dans ce livre, je voudrais tenter de prolonger la critique de Fabian en assumant de façon effective l’héritage du linguistic turn en anthropologie, lequel permet de ne plus seulement considérer “le temps de l’enquête” en tant que catégorie échappant à l’expérience des observateurs et des observés, mais aussi le temps incarné de l’enquête, soit des situations de communication qui mettent en scène des interlocuteurs jouant des rôles dont les effets sont presque toujours politiques. » (Ibid., p. 57).

[9] Éric Chauvier, Si l’enfant ne réagit pas, Paris, Allia, 2008.

[10] Éric Chauvier, Anthropologieop. cit., p. 12.

[11] Ibid.

[12] Noël Jouenne, « Éric Chauvier, Anthropologie », L’Homme, n° 185-186, 2008, p. 527-528.

[13] Jean-François Staszak, « Qu’est-ce que l’exotisme ? », Le Globe, vol. 148, n° 1, 2008, p. 7-30.

[14] Voir le chapitre « Quand dire, c’est classer », dans Anthropologie de l’ordinaireop. cit., p. 113-133.

[15] Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977.

[16] Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaireop. cit., p. 117.

[17] Voir Jean-François Staszak, « Qu’est-ce que l’exotisme ? », art. cit., p. 17.

[18] Éric Chauvier, Les Mots sans les choses, Paris, Allia, 2014.

[19] V. Clifford Geertz, « La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture », traduit de l’anglais au français par André Mary pour le numéro spécial d’Enquête, « La Description », n° 6, octobre 1998, p. 73-105 ; James Clifford, « De l’autorité en ethnographie. Le récit anthropologique comme texte littéraire », traduit de l’américain au français par Gérard Leclerc, Patrick Menget & Britta Rupp-Eisenreich, revu par Daniel Céfaï, dans Daniel Céfaï (dir.), L’Enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003, p. 263-293.

[20] Vincent Debaene, L’Adieu au voyage : l’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, 2010, p. 15.

[21] Éric Chauvier, Anthropologie, op. cit., p. 25.

[22] Ibid., p. 55-56.

[23] Ibid., p. 77.

[24] Ibid., p. 114.

[25] Ibid., p. 115.

[26] Ibid., p. 131.

[27] Ibid., p. 130.

[28] Ibid., p. 132.

[29] Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaireop. cit., p. 142.

[30] Ibid., p. 144.

[31] James Clifford, « De l’autorité en ethnographie. Le récit anthropologique comme texte littéraire », art. cit.

[32] À ce sujet, voir Daniel Céfaï, « Postface. L’enquête de terrain en sciences sociales », dans Daniel Céfaï (dir.),  L’Enquête de terrainop. cit., p. 465-615.

[33] Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sortsop. cit.

[34] Florence Weber, Le Travail à côté. Une ethnologie des perceptions [1989], Nouvelle édition revue et augmentée, éditions EHESS, 2009, p. 224.

[35] « Le risque est grand pour les chercheurs dits “de terrain” de montrer moins ce qu’ils ont vu que ce qu’ils pensent devoir donner à comprendre à leurs lecteurs au-delà des apparences. […] ces observateurs distraits par l’abstrait oublient qu’au moment de leur enquête ils figuraient parmi les acteurs du tableau de genre qu’ils veulent écrire à leur retour. C’est à ces conditions de cécité et de surdité partielles qu’est possible la fiction exotique […]. » (Alban Bensa, La Fin de l’exotismeop. cit., p. 141).

[36] Éric Chauvier, Si l’enfant ne réagit pas, op. cit., p. 16.

[37] Éric Chauvier définit une « fiction théorique » comme un « modèle conceptuel surplombant plaqué sur le vécu de chacun au point de rendre celui-ci inexprimable », dans Les Mots sans les chosesop. cit., p. 25.

[38] Éric Chauvier, Si l’enfant ne réagit pasop. cit., p. 17.

[39] Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie [1913], Paris, Gallimard, 1950.

[40] Johannes Fabian, Le Temps et les autresop. cit., p. 184.

[41] Éric Chauvier utilise cette notion en référence à un article de Daniel Cefaï et Nathalie Depraz qui montre les apports de la phénoménologie husserlienne pour l’ethnologie. Voir Daniel Cefaï & Nathalie Depraz, « De la méthode phénoménologique dans la démarche ethnométhodologique. Garfinkel à la lumière de Husserl et de Schütz », L’Ethnométhodologie, Paris, La Découverte, « Recherches », 2001, p. 99-119.

[42] « Cette “conversion du regard”, pour reprendre l’expression de Husserl fondant la phénoménologie, substitue un “appariement des consciences” aux protocoles métadiscursifs imposant une rupture entre le texte et le lecteur » (Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaireop. cit., p. 72).

[43] « Lorsqu’un savant se voit taxé de faire de la littérature, il n’a souvent d’autre choix que de combiner deux arguments : la nécessité de toucher un public plus vaste que celui de ses pairs et l’exigence d’une évocation plus fidèle à la réalité de l’enquête que les écrits scientifiques » (Vincent Debaene, L’Adieu au voyageop. cit., p. 486).

[44] Voir James Clifford, « Introduction: Partial Truths », dans Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography, James Clifford & George Marcus (dir.), op. cit., p. 14-15.

[45] Harold Garfinkel propose de perturber le terrain d’enquête pour produire des moments de confusion et ainsi rendre étrange un monde trop familier. Ces « breaching experiences » permettent d’éclairer les règles par défaut des situations sociales et les mécanismes d’un ordinaire allant de soi. Voir Harold Garfinkel, Recherches en ethnométhodologie, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.

[46] Jeanne Favret-Saada, « Être affecté », Gradhiva, 1990, n° 8, p. 3-10.

[47] Éric Chauvier, « Préface. Le livre du voleur. De l’importance du trouble en anthropologie », dans Myriam Congoste, Le Vol et la morale. L’ordinaire d’un voleur, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 7.

[48] Éric Chauvier, Si l’enfant ne réagit pasop. cit., p. 88.

[49] Ibid., p. 33.

[50] Ibid., p. 24.

[51] Ibid., p. 121.

[52] Éric Chauvier, Anthropologieop. cit., p. 83.

[53] Alban Bensa & François Pouillon (dir.), Terrains d’écrivains : littérature et ethnographie, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 29.

[54] Vincent Debaene, L’Adieu au voyageop. cit., p. 487.

[55] François Bon, Daewoo, Paris, Fayard, 2004.

[56] Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, Paris, L’Olivier, 2011.

[57] Philippe Vasset, Un Livre blanc: récit avec cartes, Paris, Fayard, 2007.

[58] Dans Esquisse pour une auto-analyse, Pierre Bourdieu souhaitait faire de son propre cursus le matériau d’une analyse sociologique. Didier Éribon a entrepris une démarche similaire et raconte à travers un texte oscillant entre autobiographie et essai, son retour à Reims, le milieu ouvrier de son enfance et son ascension sociale. Voir Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’agir, 2004 ; Didier Éribon, Retour à Reims, Paris, Fayard, 2009.

[59] Voir le récit d’enquête d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, Paris, Le Seuil, 2016 ou la pratique de l’ego-histoire de Philippe Artières dans Au fond, Paris, Le Seuil, 2016.

[60] Dans les années 1970, Armand Frémont forgeait le concept d’ « espace vécu » pour aborder l’espace comme un ensemble d’interactions entre l’individu, le paysage et son milieu. Voir Armand Frémont, La Région, espace vécu, Paris, Flammarion, 1976. Plus récemment, Pierre Sansot a proposé une approche différente de l’urbanisme dans Poétique de la ville. Il y revendique une écriture qui prend sa source dans le lieu lui-même à partir des « mots de la conscience commune », rejetant ainsi, comme le fait Éric Chauvier, un langage scientifique qu’il considère comme déshumanisé et fade. Voir Pierre Sansot, Poétique de la ville, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2004.

[61] Éric Chauvier, Anthropologie, op. cit., p. 135.

Auteur

Violaine Sauty est agrégée de Lettres Modernes. Elle est actuellement ATER à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et en cotutelle avec l’Université libre de Bruxelles. Elle prépare, sous la direction de Marie-Ève Thérenty et de Paul Aron, une thèse intitulée « Écritures de terrains : (en)quêtes d’auteurs dans la littérature contemporaine non fictionnelle ».

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