N°19 / Voix sur les ondes : enquêtes orales et témoignages dans le reportage radiophonique (XXe-XXIe siècles)

Voix de reportages : Capter la parole de l’autre...

Voice of reports/broadcasts/stories : Capturing the words of others...

Christophe Deleu

Résumé

De nombreuses interviews s’écoutent tous les jours à la radio ou dans les podcasts. Pour le public, il s’agit d’un dispositif classique, identifié, qui relève presque de la banalité. L’écoute des propos tenus prime sur l’interrogation quant à la manière dont cette parole a été recueillie… Et, pourtant, derrière cette évidence, se cachent de nombreux questionnements pour le documentariste portant sur sa légitimité, sa responsabilité, son éthique et, plus globalement, sur le fondement même de sa démarche. Qu’est-ce que cela signifie, capter la parole de l’autre ? Qu’est-ce que fait l’intervieweur quand il interviewe ? C’est en comparant le métier d’intervieweur à d’autres professions, ou à d’autres types d’interaction qu’il est possible de définir les contours de la pratique de l’intervieweur.

Abstract

Many interviews can be heard every day on the radio or in podcasts. For the listeners, it is a classic, identified device, which is almost banal. Listening to the comments made takes precedence over questioning the way in which these words were collected... And, yet, behind this obviousness lie several questionings for the documentary filmmaker-reporter, for example relating to his legitimacy, his responsibility, his ethics and, more generally, on the very foundation of its approach. What does it mean to capture the words of others? What does the interviewer do when he interviews? It is by comparing the profession of interviewer to other professions, or to other types of interaction that it is possible to define the contours of the interviewer's practice.

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De nombreuses interviews s’écoutent tous les jours à la radio ou dans le podcast. Pour le public, il s’agit d’un dispositif classique, identifié, qui relève presque de la banalité. L’écoute des propos tenus prime sur l’interrogation quant à la manière dont cette parole a été recueillie… Ma problématique est la suivante : derrière cette évidence se cachent de nombreux questionnements pour le documentariste-reporter, portant sur sa légitimité, sa responsabilité, son éthique et, plus globalement, sur le fondement même de sa démarche. Qu’est-ce que cela signifie, capter la parole de l’autre ? Qu’est-ce que fait l’intervieweur quand il interviewe ?

Ce sont les sciences sociales qui ont, davantage que les médias, porté une réflexion sur leurs pratiques. Les questions liées, par exemple, aux émotions, au militantisme, et à l’hostilité du terrain sont abordées par celles-ci[1].

Dans les médias, il est peu courant que les professionnels reviennent sur leur expérience, ce ne sont pas les usages. La frustration est donc grande puisqu’en matière d’interview à la radio seul ce qui a été capté est donné à entendre (le résultat de l’interview). Pas tout ce qui a précédé ou suivi la diffusion de l’interview. L’émergence du podcast qui favorise le recours du « je » dans l’écriture journalistique l’écriture au « je » du journaliste, de celui qui a conçu le podcast, a apporté quelques exceptions[2]. On en apprend donc davantage sur les coulisses de l’interview.

Je souhaite ici revenir sur quelques expériences personnelles de terrain en lien avec l’interview en radio. Ces interviews ont été réalisées dans le cadre de la production de documentaires pour France Culture, entre 1997 et 2015, et il est donc possible de les analyser avec recul. Ce travail a été mené à partir de notes rédigées sur des carnets, de mails échangés avec les interviewés et de réécoute de certaines émissions. Précision : ce sont des interviews de témoins anonymes, de personnes ordinaires : celles qui parlent en leur nom propre, et non en tant que représentant, expert.

Mon hypothèse est la suivante : c’est en comparant le métier d’intervieweur à d’autres professions, ou l’interview à d’autres types d’interaction qu’il est possible de définir les contours de la pratique de l’interview. Parmi les autres professions : le sociologue, le psychologue, le policier ou le magistrat. Parmi les autres interactions, celle qu’on peut avoir avec un ou une amie.

L’intervieweur sociologue. Commençons précisément par la comparaison entre l’intervieweur à la radio et le sociologue (ou l’anthropologue). Souvent, j’ai eu l’impression d’effectuer un travail semblable à celui du sociologue, et d’être confronté aux mêmes interrogations que celui-ci. Parmi ces questions : en ayant choisi tel interviewé, dont le témoignage illustre tel enjeu sociétal, est-ce que j’offre un exemple représentatif ? Est-ce que je ne suis pas victime de biais qui influencent mon questionnement ? Est-ce que je ne méconnais pas l’univers social dans lequel j’ai pénétré ? Sur la question de la représentativité aussi : je peux citer l’exemple de l’interview d’une personne ayant survécu au cancer[3]. D’après la responsable de l’émission, des auditeurs trouvent que l’interviewé n’est pas représentatif des personnes ayant un cancer parce qu’il estime dans l’émission que son cancer a été une chance pour lui. Que faire face à cette accusation ?

Il y a toujours un risque de méconnaissance de l’univers social dans lequel je pénètre. Pour France Culture, je dois concevoir un documentaire sur l’alcoolisme (plus précisément sur la dépendance de personnes à l’alcool).  Expérience assez rare, je vais pouvoir travailler avec le sociologue Jean-François Laé. Mais la première rencontre avec lui est plutôt rude. Il a écouté un de mes documentaires et n’a pas été convaincu par la dimension linéaire des témoignages. Pour lui, il n’y a pas assez de complexité dans ces récits, et cela ne permet pas d’appréhender le réel de manière satisfaisante.

Ce que me reproche Jean-François Laé, c’est que la complexité de ces trajectoires a été gommée par les interviewés eux-mêmes. Pour lui, les enchaînements de ces récits de vie s’avèrent trop mécaniques, et les causalités trop évidentes[4]. Sur le moment, je suis choqué par cette critique. Ces interviewés n’ont-ils pas fait preuve de courage en témoignant, en s’exposant, et en racontant des épisodes intimes de leur existence, qui leur ont causé une grande douleur ? Comment leur reprocher d’omettre certains faits, ou de ne pas souligner suffisamment l’ambiguïté de leur comportement, voire leur passivité dans certaines situations ?

J’entends donc la critique de Jean-François Laé aujourd’hui. J’ajoute aussi que les sociologues connaissent souvent très bien leur terrain, et les problématiques qui s’y jouent, en raison de leur formation universitaire et du temps passé à explorer leurs sujets. Nous, journalistes, et même documentaristes, nous nous intéressons à un sujet, nous nous documentons, mais nous ne possédons pas toujours le même savoir quand nous menons nos interviews. Et, sauf exception, nous ne passons pas autant de temps qu’eux avec les interviewés qu’ils ont choisi d’interroger.

Depuis cette date, je n’ai cessé de repenser à ce travail avec Jean-François Laé. Le journaliste n’est pas un sociologue. Mais nous devons nous inspirer du travail des chercheurs. En 2001 est publié l’ouvrage Les Naufragés. Avec les clochards de Paris. Son auteur, Patrick Declerk, philosophe et psychanalyste, qui a ouvert une consultation d’écoute pour SDF, a travaillé plusieurs années avec eux, et il prévient que leurs récits de vie sont à entendre avec précaution :

Le discours n’est plus, dans ce monde, au mieux, que le support du fantasme. Il n’engage à rien, et il n’est pas soumis à l’épreuve du réel. […] Mise en scène dans son rapport à soi, bien avant qu’à l’autre. La première fonction du discours est d’abord de disculper le sujet à ses propres yeux. Ses échecs, ses dysfonctionnements, sa vie lamentable, tout cela doit être mis à distance, expliqué, rationalisé, par une étiologie qui ne l’implique en rien. Son discours doit, avant tout, apporter la preuve irréfutable de sa normalité : « Ce n’est pas moi. Ce sont les femmes qui nous abandonnent, les patrons qui nous mettent à la porte, les étrangers qui viennent prendre le travail des Français... C’est la crise. Ce sont mes parents. C’est l’âge. Les accidents. L’alcool qui est plus fort que moi. Je n’ai rien à voir là-dedans[5]. »

Il y a donc un risque, pour l’intervieweur, d’offrir une représentation plus que tronquée d’un monde social.

L’intervieweur est un psychologue… L’interview peut ressembler à une séance de psychothérapie, dans laquelle l’interviewé se confie sur sa vie personnelle. Dans l’interview, l’interviewé se raconte, et livre des choses intimes à l’intervieweur, qu’il n’a parfois jamais livrées, ni à sa famille, à ses amis, ni même à un thérapeute. L’intervieweur devient donc le seul témoin d’un récit alors qu’il ne figure pas parmi ses proches. L’intervieweur, face à de troublantes confessions, se demande ainsi pourquoi l’interviewé se confie à lui, et jusqu’où il peut poursuivre son exploration de l’intime. Rien ne nous prépare vraiment à interviewer des témoins à la radio, c’est une expérience qu’il faut vivre pour apprendre au fur et à mesure les enjeux liés à ce type de parole. Que peut-on poser comme question ? Sur quels épisodes de la vie de l’interviewé peut-on l’interroger ? A-t-on le droit de lui faire préciser certains éléments d’un épisode sur lequel il est allé assez vite ? Peut-on révéler un secret ? Peut-on demander à l’interviewé de décrire ses émotions, ses sentiments ? Comment se comporter si l’interviewé s’interrompt ou se met à pleurer ? En résumé, jusqu’où peut-on aller ? Il n’y a aucune réponse à toutes ces nombreuses questions, c’est à l’intervieweur de fixer son propre cadre et ses propres limites. J’ai l’image de cet interviewé qui s’arrête de parler tout à coup, et, soudainement gêné, balbutie quelques phrases incompréhensibles, et met ses mains devant le micro, comme pour empêcher ses mots d’être entendus et enregistrés. Je garde en tête ce regard perdu, la tête secouée dans tous les sens, et cette belle naïveté qui consiste à espérer que mettre ses mains devant un micro constitue un rempart efficace contre la captation de ses propos. L’interviewé est-il saisi de vertige ? Nous ne sommes pas en direct. Je suspends l’interview, et demande à l’interviewé quelle est l’origine de son embarras. En arrêtant l’interview, j’ai l’impression de lui tendre la main, et de le sauver de la noyade.

L’interview pour un média, et la conduite d’un entretien par un psychologue présentent des similitudes, mais aussi de nombreuses différences. En témoignant pour le média, l’interviewé rend publique une partie de son histoire, tandis qu’il la maintient secrète dans le cadre de la thérapie. La dimension temporelle n’est pas non plus la même : souvent, l’interviewé livre son témoignage à travers une ou plusieurs rencontres avec l’intervieweur. Celui qui dépose son histoire chez un psychologue, dans le cadre de la cure, va le rencontrer de nombreuses fois, et ces rendez-vous vont s’étaler dans le temps. L’interview n’est pas conçue pour venir en aide à l’interviewé, même si c’est parfois le cas.

L’intervieweur et le psychologue n’ont pas non plus les mêmes contraintes : l’intervieweur, à partir du récit de l’interviewé, doit construire un récit qui sera compréhensible pour l’auditeur, ce qui suppose une organisation particulière de l’entretien, et des choix à opérer au montage, afin d’obtenir une cohérence. Celui qui consulte un psychologue peut se répéter, se perdre dans son récit, le modifier d’une séance à une autre, au fur et à mesure de l’avancée du travail et des interventions du psychologue qui dispose de ses propres outils pour venir en aide au sujet. En cela, l’intervieweur peut paraître assez démuni quand il a pour projet de récolter une parole du type de celle recueillie sur le divan. Non seulement il ne sait pas vraiment quelles sont les frontières de l’intimité, mais, en plus, il ne sait pas toujours comment réagir face à un témoignage : faut-il relancer pour pénétrer plus en avant encore dans le psychisme de l’interviewé ? L’intervieweur doit-il s’intéresser au travail de l’inconscient de l’interviewé, à la censure qu’il peut opérer, doit-il aller au-delà du contenu manifeste du discours, et guetter les contradictions ? L’intervieweur ne perçoit pas toujours que l’interviewé refoule tel ou tel élément de son histoire, que celui-ci est dans le déni, ou opère des déplacements… Point de transfert non plus, propre à la cure psychanalytique. D’une manière artisanale, l’intervieweur suit le fil du récit, régit comme il le peut, et accompagne l’intervieweur.

Et, dès qu’il s’agit d’intime, en raison de son empathie, l’intervieweur peut manquer de recul ou d’outils pour mener l’entretien et en saisir la profondeur. L’intervieweur peut craindre de brusquer l’interviewé en suggérant telle ou telle piste d’interprétation, en le contredisant, ou en pointant quelques incohérences. Sigmund Freud, en revenant sur une de ses célèbres cures, celle avec une jeune femme qu’il appelle « Dora », qui ne dit pas toujours la vérité selon le psychanalyste, raconte qu’il l’interpelle : « Vous avez parfaitement raison, mais, ma chère, n’avez-vous pas contribué vous-même à ce désordre dont vous me parlez[6] ? » J’ai parfois le sentiment qu’en situation d’interview nous n’osons pas contredire l’interviewé dès qu’il s’agit d’intimité, et nous ne nous risquons pas à poser les questions qui « fâchent » en raison d’un souci de ne pas le mettre en difficulté. Celui-ci a accepté de témoigner, et il mérite au moins le respect. La question que Sigmund Freud pose à Dora mérite d’être méditée, et, même si l’intervieweur ne s’inscrit pas dans un travail analytique, il pourrait se permettre des questions plus subversives que celles qui sont parfois posées, afin que l’on ne reste pas soi-même en surface dans l’exploration de l’intime. L’intervieweur perçoit bien s’il se rapproche d’un « noyau dur », d’un événement qui a pu être traumatisant pour l’interviewé ou d’un souvenir qui le fait souffrir, ou d’un fait qui est au centre de son questionnement. C’est l’intervieweur qui choisit de s’y intéresser, ou de « passer » à la question suivante.

L’intervieweur ressemble à un ami… En raison précisément du caractère intimiste de certains propos, l’intervieweur peut avoir l’impression d’une telle proximité avec l’interviewé qu’il se sent comme en présence d’un ami. Mais ce sentiment disparaît généralement aussitôt l’entretien achevé. Mener un entretien, c’est souvent créer une bulle où plus rien d’autre n’existe. L’interviewé parle, et l’intervieweur l’écoute.  Et si l’on reste conscient des différences qui nous séparent de cet autre, il existe aussi certaines situations où l’interviewé apparaît au contraire comme très proche de soi, et, même, un autre soi-même. Prendre conscience d’une telle proximité où l’univers de l’autre et le sien se fondent provoque le vertige. L’intervieweur a ainsi la troublante impression que l’interviewé qu’il ne connaissait pas ressemble à un ami de longue date, quelqu’un qu’on pourra revoir dès qu’on le souhaite… Une âme sœur… C’est, heureusement, ou malheureusement très rare… Cela se produit généralement quand on se sent très proche d’un thème traité, ou des interviewés (âge, opinions, expériences de vie).

Tout ce contexte peut contribuer à nous faire sentir trop proche de notre sujet de documentaire, ce que l’anthropologue Judith Hayem nomme le « sentiment amoureux » pour le terrain, forme de fascination, qui peut nuire à la neutralité supposée de l’intervieweur[7]. Le sentiment amoureux peut concerner son propre interviewé, au sens d’un sentiment de proximité très étroite. Une façon rapide d’esquiver la problématique serait de revendiquer le point de vue du documentariste contre l’objectivité du journaliste. Mais ce mode de défense s’avère insuffisant. Dans ce type de sujets, le risque c’est l’aveuglement, la perte de la bonne distance (ne pas interroger la partie adverse, ne pas poser les questions qui dérangent…).

Devient-on ami avec les interviewés ? Sans doute non, sauf rarement. Une interview n’est pas une conversation ; même si les échanges adoptent le ton de l’intimité, ils s’inscrivent dans une interaction visant à ne pas se reproduire. Mais il n’y a pas de règle, et, de la même manière que certains documentaristes ou journalistes choisissent d’interviewer des personnes qu’elles connaissent, certains deviennent amis avec leurs interviewés. Florence Aubenas, évoquant ainsi son premier fait divers, qui l’a fait sonner chez la femme de quelqu’un qui vient de tuer son voisin :

J’ai maintenu des liens avec la femme de l’assassin : elle était ma première affaire, moi sa première journaliste. Nous avons fini par nous attacher l’une à l’autre. Je sais que je cours le risque de déclencher l’opprobre de mes confrères : je revendique cette affection. [...] Par la suite, je n’ai pas résisté non plus à devenir l’amie d’un ex-braqueur, de plusieurs petits dealers, d’un ouvrier de chez Peugeot, d’une technicienne de Pôle emploi, de plusieurs agents secrets, de quelques femmes de ménage. J’espère que ce n'est pas fini[8].

La relation de confiance qui s’est établie entre l’intervieweur et l’interviewé peut ainsi se prolonger au-delà de la conception du documentaire, mais cela reste un secret entre intervieweurs et interviewés.

L’intervieweur policier ou magistrat… À l’inverse, l’interview ressemble parfois à un questionnaire de type judiciaire, où l’intervieweur pousse l’interviewé dans ses derniers retranchements afin de connaître la « vérité ». Mais qu’est-ce qui autorise l’intervieweur à aller si loin ? C’est donc bel et bien la question du consentement qui se pose dans une situation d’interview. Certes, l’interviewé a accepté de parler, mais qu’est-il prêt à confier de lui-même ?

 

L’intervieweur n’est ni un policier, ni un juge. Néanmoins, comme eux, il enquête, et pose des questions afin d’établir la vérité des faits, dans le cadre d’émissions judiciaires par exemple. L’intervieweur se fait intrusif, et l’interview ressemble alors à un interrogatoire. Mais l’interviewé n’est pas obligé de répondre aux questions de l’intervieweur, ni même de le rencontrer. Comme en droit, toute personne possède un droit au silence. Régulièrement, l’intervieweur doit affronter ce silence, ce qui l’empêche de s’entretenir avec tous les protagonistes d’une affaire. Mais l’intervieweur sait être opiniâtre, et parlementer afin de recueillir un témoignage. Jusqu’où peut-il aller, cependant, pour convaincre l’autre de parler ?

Je me suis souvent demandé qui était l’intervieweur pour ainsi insister autant lors de la demande d’une interview. J’ai souvenir d’avoir passé deux heures sur une plage bretonne pour convaincre un marin-pêcheur récalcitrant de raconter comment son bateau avait été saboté… Il avait été échaudé par un reportage qui ne lui avait pas plu, et il ne voulait plus parler au journaliste. J’avais utilisé tous les arguments possibles pour qu’il change d’avis. Il avait fini par me fixer rendez-vous le soir, chez lui, et avait livré son témoignage. Sans lui, l’émission aurait manqué d’objectivité, elle aurait été bancale. Qui devient-on quand on parlemente ainsi ? N’est-ce pas une forme de menace quand on indique à l’autre que l’émission se fera, sans lui, ou avec lui, et que ce serait mieux qu’il témoigne pour garantir cet équilibre, et la sauvegarde de ses intérêts ?

Interviewer, c’est donc prendre tous les risques d’une interaction hybride, incomplète, mais dont l’ambition est toujours de renseigner sur les êtres à défaut de toujours expliquer le monde…

 

Notes

 

[1] Annie Benveniste (dir), Se faire violence. Analyse des coulisses de la recherche, Paris, Téraèdre, collection « L’anthropologie au coin de la rue », 2013.

[2] Citons comme exemples : « Serial (2014) », NPR ; L’affaire Salif B., « Les pieds sur terre », France Culture, 2020.

[3] « Le Vif du sujet » du 18 novembre 2009.

[4] C’est là le reproche formulé par Pierre Bourdieu, voir « L'illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin 1986 ; p. 69-72.

[5] Patrick Declerk, Les Naufragés. Avec les clochards de Paris, Paris, Plon, « Terre Humaine », 2001, p. 30-31.

[6]    Marie-Hélène Brousse, « Le cas Dora et l’invention du symptôme », L’École de la Cause freudienne/La Cause freudienne, 2006/3, n°64, p. 13-18.

[7]    Judith Hayem, « Glissement amoureux et glissement politique dans le face à face avec la xénophobie », dans Annie Benveniste (dir.), Se faire violence. Analyses des coulisses de la recherche, Paris Téraèdre, 2013, p. 119-156.

[8]Florence Aubenas, « J’ai sonné chez la femme de l’assassin », Le Monde du 12 juin 2013, en ligne : https://www.lemonde.fr/livres/article/2013/06/12/j-ai-sonne-chez-la-femme-de-l-assassin_3428841_3260.html

 

Auteur

Christophe Deleu est professeur à l’université de Strasbourg, et directeur du Cuej (Centre Universitaire d’enseignement du Journalisme). Il est membre du laboratoire SAGE, UMR 7363. Il a publié La parole des anonymes à la radio, usages, fonctions et portée (Ina/de Boeck, 2006), et  Le documentaire radiophonique (Ina-L’Harmattan, 2013). Il est aussi auteur radio, notamment pour France Culture et la RTBF. Il a cofondé le studio de création de podcast Sonya. Il est président de la commission radio de la Société des Gens de Lettres.

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