Abstract
Recorded in two sessions in August 1976 in Jean Tortel’s Avignon property, his interviews with Joseph Guglielmi assisted by Liliane Giraudon, form after editing a series of ten programmes of 25 minutes each, broadcast daily on France Culture at twelve o’clock midnight, from 25 October to 5 November 1976. Alternating exchanges and readings that should – according to its producer – allow to “revenir sur pas mal de choses autour de la ‘poésie’”, and more specifically on Tortel’s “poésie ou poétique”. The series is examined in its desultory aspect, as an “assez satisfaisant brouillon de ce qui aurait pu être dit” as Tortel himself puts it, as well as in its implicit bias that indirectly turns it into poetic art or even into an oblique manifesto.
Keywords
poetry, radio interviews, France Culture, Jean Tortel
L’histoire commence en juin 1976, quand Jean Tortel consigne dans son journal à la date du jeudi 3 de ce mois : « Lettre de Jo ; confirme : sera à Saint Rémy pour la journée Orange Export que L. organise. Il doit également (à la demande de Veinstein) me faire cinq entretiens pendant le festival [1] ». Tout commence donc par une lettre [2] unissant en un réseau littéraire et amical Jean Tortel (le destinataire), Joseph Guglielmi (Jo, l’épistolier), Liliane Giraudon (L.), Emmanuel Hocquard et Raquel Levy (les fondateurs de la petite maison d’édition Orange Export Ltd.) et Alain Veinstein – qui n’est pas encore le producteur et l’animateur des Nuits magnétiques mais qui a déjà quitté la télévision pour la radio où, intégré à l’équipe d’Yves Jaigu, il contribue depuis 1975 à élaborer une nouvelle grille de programmes [3]. S’y amorce surtout un projet : enregistrer pour France Culture cinq entretiens, cinq émissions de 25 minutes chacune, qui, selon Guglielmi, « permettrai[en]t de revenir sur pas mal de choses autour de la “poésie” » et, plus précisément, de la « poésie ou poétique » de Tortel lui-même sans demander un gros travail de préparation, puisque, de l’avis de l’épistolier, « il suffit de trouver quelques bonnes questions, mais on se connaît bien… ce sera facile ».
Une nouvelle lettre, du 20 juillet 1976, propose comme base de réflexion un schéma en cinq temps que Tortel est laissé libre de modifier :
1° les premières années d’écriture
2° Les Cahiers du Sud
3° l’essayiste
4° après Les Villes ouvertes
5° actualité de Jean Tortel
Soit un schéma grossièrement chronologique discrètement perturbé toutefois par le désir de traiter à part la production critique de Tortel qui conduit à introduire une rubrique sur « l’essayiste » de nature plutôt thématique ou générique puisque les essais de Tortel sont difficilement assignables à une période (ni années Cahiers du Sud ni période pré ou post Villes ouvertes).
Comme prévu, l’enregistrement, qualifié par Tortel de « mi-improvisé, mi-calculé [4] », se fait dans l’été aux Jardins, cette propriété sise dans la banlieue d’Avignon, 55 chemin des Jardins-neufs, où se sont si souvent retrouvés les amis de l’écrivain. Deux séances en tout, conduites par Joseph Guglielmi assisté de Liliane Giraudon. La première, que Tortel évalue à « trois heures ou plus », a lieu le mardi 3 août lors d’une réunion « joyeuse [5] ». La seconde, résumée en quelques mots, « Cahiers du Sud, textes lus, Scève, etc. [6] », se tient le jeudi 5 du même mois. Il en résulte après montage une série de dix émissions (au lieu des cinq initialement prévues), d’environ 25 minutes chacune, diffusées quotidiennement à minuit, du lundi 25 octobre au vendredi 5 novembre de cette année 1976, avec une interruption le week-end.
Quand Alain Veinstein lui propose de réaliser une série d’entretiens avec Jean Tortel, Joseph Guglielmi est depuis plus de dix ans un ami du poète. Écrivain, il a publié cinq livres de poèmes, plaquettes comme Ville ouverte en 1958 et Pour commencer en 1975, ou recueils plus amples tel Aube, paru en 1968 aux éditions du Seuil, dans la collection « Écrire » que dirigeait Jean Cayrol. Homme de revue, il a contribué, de 1962 à 1966, aux Cahiers du Sud de Jean Ballard où il a côtoyé Tortel, puis s’est lancé dans l’aventure de Manteia, qu’il a cofondée en 1967 avec d’autres anciens collaborateurs des Cahiers, Gérard Arseguel, Jean Todrani, Jean-Jacques Viton, avant de se séparer du groupe en 1969. Dans les années soixante-dix, il contribue à nouveau à Action poétique la revue qu’avaient créée à Marseille en 1950 Jean Malrieu et Gérald Neveu, et qui, devenue parisienne, est depuis 1958 dirigée par Henri Deluy. Il intervient dans les pages de Change. Il est proche d’Emmanuel Hocquard et de Raquel, proche du groupe amical qui s’est formé dans l’atelier de Malakoff où se retrouvent notamment Pascal Quignard et Alain Veinstein. En tant qu’interviewer, il n’est pas tout à fait novice puisqu’il a, en janvier 1975, réalisé pour France Culture un entretien avec Edmond Jabès et, en mai 1976, il s’est, pour France Culture encore, entretenu avec Jacques Roubaud [7].
S’il est le producteur de la série et le principal interlocuteur du poète invité, Guglielmi n’est toutefois pas le seul. Le dialogue se trouve en effet enrichi par la présence active de Liliane Giraudon, qui elle aussi, parfois, commente et questionne. Elle n’est pas encore à cette époque de sa vie l’écrivain qu’elle est devenue par la suite, même si elle est déjà engagée dans un processus, encore tâtonnant, d’écriture [8]. Elle a soutenu, en mars 1976, à l’université d’Aix-en-Provence, une thèse de troisième cycle : « Espaces et déplacements corporels dans l’écriture de Jean Tortel », dont la deuxième partie est formée par la transcription dactylographique de cinq entretiens enregistrés aux Jardins à partir de mars 1972 et revus conjointement par l’écrivain et son exégète.
Aucun des deux interviewers n’est donc statutairement un journaliste, aucun n’a pour « occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de [cette] profession [9] », même si structuralement ils occupent la position dévolue au journaliste dans le genre de l’entretien. Aucun d’eux ne bénéficie de quelque avantage sur un écrivain que le micro impressionnerait. Tortel est interrogé chez lui, aux Jardins, et n’a pas de raison d’être intimidé par l’aspect technique de l’enregistrement, car il a déjà une longue expérience de la radio. Dans les années soixante en effet, il est intervenu de façon régulière dans le cadre d’émissions sur la poésie [10] ; en 1972 il a participé à l’évocation radiophonique de « L’aventure des Cahiers du Sud » et, en 1975, il a été l’un des premiers invités de l’émission de Claude Royet-Journoud, Poésie ininterrompue. De toute façon, aucun des deux interviewers n’entretient avec lui un rapport de force ou de rivalité. La relation est plutôt amicale et complice, teintée s’agissant de Liliane Giraudon d’une nuance discipulaire puisque depuis quelques années la jeune femme soumet à Tortel ses essais d’écriture et qu’à en croire son journal, le poète des Jardins se montre désireux de lui apprendre à écrire. S’il y a un rapport de force, voire un antagonisme, ce n’est sans doute pas entre les interlocuteurs qu’il faut le chercher mais entre leur trio et d’autres acteurs du champ poétique – poètes, critiques, éditeurs – face auxquels il s’agit d’affirmer une certaine conception de la poésie et du poème, dont l’œuvre de Tortel offre un exemple voire un emblème.
En 1976, Jean Tortel a soixante-douze ans. Il a derrière lui une douzaine de recueils poétiques, deux romans déjà anciens Le Mur du ciel (1947) et La Mort de Laurent (1948) et un travail critique non négligeable qu’il a mené pour une grande partie dans des revues [11] mais qui s’est aussi cristallisé en essais [12]. S’agit-il pour autant d’un auteur consacré ? C’est fort douteux. Certes, il n’est pas dépourvu de toute notoriété : depuis 1965, quatre livres de poèmes de lui ont paru dans la collection blanche des éditions Gallimard, qui reste à cette date un espace éditorial légitimant. Sans leur accorder beaucoup de place, la presse écrite ne les a pas ignorés ; mais il faut bien reconnaître que la plupart des recensions sont l’œuvre d’amis, eux-mêmes poètes ou écrivains, comme Gérard Arseguel, Philippe Jaccottet et son neveu Florian Rodari, Raymond Jean ou Guglielmi lui-même [13]. Peu de critiques étrangers au cercle relationnel ou amical prêtent attention à ce travail sinon Alain Bosquet qui assassine en quelques lignes Limites du regard dans La NRF [14] et consacre à Tortel (in absentia, cela va de soi) l’une de ses émissions radiophoniques sur France Culture [15]. De même si la télévision a offert à l’écrivain l’occasion de quelques apparitions, qu’il ait été convié à témoigner, par exemple sur le poète Alexandre Toursky, ou ait lui-même été le sujet de l’émission – c’est le cas en 1973 quand Jean-Pierre Prévost lui consacre un court métrage [16] –, on ne saurait considérer que ces quelques images diffusées à une heure tardive aient fait de lui une vedette. La « manière de silence autour de [lui] [17] » que Tortel constatait en mars 1972 dans le Cahier d’alors n’équivaut pas, tant s’en faut, à un silence absolu. Mais le retentissement médiatique de l’œuvre reste de faible portée. Et les deux derniers manuscrits que l’écrivain a soumis à son éditeur, une prose de genre indécidable, Le Discours des yeux, et un recueil poétique, Tracés composés, lui ont été refusés (respectivement en 1974 et en 1975) ; ils demeurent à cette date dans ses tiroirs.
Les liens qu’il noue alors avec d’autres écrivains, ses cadets, le déportent plutôt à la marge du champ littéraire. C’est ainsi qu’en 1976, il a, par l’intermédiaire de Joseph Guglielmi, confié à Emmanuel Hocquard et Raquel Levy un bref ensemble intitulé Spirale interne qui paraîtra à la fin de 1976 dans la collection « Chutes » des éditions Orange Export Ltd. avec des dessins de Thérèse Bonnelalbay, la femme de Guglielmi. Bref, Tortel est en 1976 un poète « estimé » – c’est le qualificatif qu’il emploie lui-même dans son Cahier – mais dans un cercle restreint, que la publication en 1975 d’un fronton de la revue Sud à lui consacré n’a sans doute pas élargi de façon significative. Il n’a rien du « grand écrivain » auquel il est de tradition journalistique de faire visite pour recueillir ses propos. Et comme il n’occupe ni n’a jamais occupé de fonctions officielles dans le monde de la culture, il est fort improbable que sa personne suscite parmi les auditeurs potentiels des entretiens radiophoniques produits par Guglielmi une grande curiosité préalable.
C’est d’ailleurs heureux. Car, outre que Tortel a peu de goût pour la confidence autobiographique en public, ses interlocuteurs ne lui demandent rien de tel. Bien qu’il soit sans conteste une présence charnelle car vocale, un « grain » de voix façonné par l’usage du tabac, un accent d’entre Rhône et Durance, un débit parfois volubile, l’auteur n’est pas en lui-même le centre de ces entretiens qui ne se préoccupent ni des péripéties d’une vie, ni des traits d’un caractère. Des origines familiales, de l’enfance, de l’éblouissement amoureux à Gordes auprès de celle qui sera la compagne de toute une vie, des aléas d’une existence de fonctionnaire de l’Enregistrement, de l’activité de Résistance qui a été l’occasion de la rencontre avec Francis Ponge et l’origine d’une longue amitié, on ne saura rien ou presque. À peine apprendra-t-on de la bouche de Tortel qu’à « l’époque du surréalisme » il était « tout jeune », « venai[t] de se marier » et « étai[t] sous l’influence de Jean Royère » (1) [18] puis qu’il a connu l’exil à Toul, de 1934 à 1938, qu’il est alors tombé malade et a été nommé par son administration à Marseille, ce qui lui vaudra de se lier avec l’équipe des Cahiers du Sud (7). On l’entendra aussi mentionner son malaise face aux figures de l’illimité spatial, « le mot “paysage” [allant] pour [lui] avec la notion de limites » (1), et sa peur de l’orage – sa « frousse » dit-il précisément (2). C’est peu. Et surtout ce sont des éléments qui, pour la plupart, échappent à l’anecdote pour ouvrir la voie à l’examen d’une thématique de prédilection, d’une éthique et d’une poétique. Alors que les entretiens avec Liliane Giraudon commencent par des « éléments biographiques », qui, malgré leur discrétion, posent un certain nombre de jalons chronologiques, il ne s’agit visiblement pas ici de dessiner un parcours de vie. En ce sens, les entretiens-feuilletons de 1976 relèvent pleinement du genre de l’entretien littéraire : leur objet principal – pour ne pas dire exclusif – est la littérature.
Ou, pour être plus exact, la poésie. Les deux romans publiés de Tortel n’ont en effet pas plus d’existence dans les propos échangés que le dactylogramme de Madita inédit depuis la fin des années trente, tous livres auxquels les entretiens avec Liliane Giraudon faisaient pourtant accueil. Ce privilège accordé à « la “poésie” » est en parfait accord avec le projet formulé dans la lettre programmatique du 1er juin 1976. Mais le parti pris diachronique, soubassement du plan esquissé dans lettre suivante qui souhaitait conduire l’auditeur des « premières années d’écriture » jusqu’à « l’actualité de Jean Tortel », se trouve remis en question : le schéma définitif suppose une partition plutôt thématique où six émissions consacrées à la poésie et la poétique tortelliennes se trouvent suivies par deux émissions dévolues aux Cahiers du Sud, puis deux autres attachées à la pratique critique ou, pour dire avec plus de justesse peut-être, aux lectures fondatrices. Bien sûr, l’indifférence à la chronologie n’est pas absolue. Au fil des émissions, quelques jalons temporels sont posés. Le cinquième entretien fait la part belle au « tournant » des Villes ouvertes et, d’émission en émission, l’auditeur attentif comprend que Tortel distingue dans sa courbe d’écriture trois périodes : une sorte de préhistoire, « première période d’expérimentation, de tentative » (10), et deux grandes phases historiques auxquelles correspondent les deux listes qui, dans les cinquième et neuvième entretiens, égrènent titres et dates de publication : « 1946 : Paroles du poème ; 1951 : Le Préclassicisme ; 1955 : Naissances de l’Objet ; 1960 : Explications ou bien Regard ; 1961 : Élémentaires ; 1961 : L’Amour unique de Maurice Scève » ; puis : « 1963 [sic] : Villes ouvertes ; 1963 : Guillevic ; 1965 : Clefs pour la littérature ; 1968 : Relations ; 1971 : Limites du regard ; 1973 : Instants qualifiés ». Mais les informations restent dispersées, exigeant, pour suivre le parcours de l’écrivain, bien de la bonne volonté et une remarquable fidélité d’écoute.
Et ce ne sont pas les lectures, nombreuses comme l’on peut s’y attendre dans des émissions où l’essentiel n’est pas l’homme mais le texte, qui contribuent à éclairer une trajectoire. Surgissant avec la plus grande liberté au sein des échanges puisque nul ordre fixe ne règle l’alternance, projetés dans l’espace sonore tantôt par l’auteur lui-même tantôt par une voix féminine, celle de Liliane Giraudon ou celle de Michèle Cohen, ou parfois encore à deux voix, celle masculine de l’auteur doublant la voix féminine de la lectrice (ou l’inverse) en des effets qui sont tantôt de lecture amébée tantôt de canon, les textes sont le plus souvent livrés sans annonce aucune. Les textes tortelliens s’entend. Car les autres [19] sont au moins rendus à leur auteur sinon à leur livre d’origine. Dans les deux derniers entretiens, l’interviewé assortit bien sa lecture d’un commentaire apte à resituer dans le temps ce qui vient d’être ou va être entendu, mais dans les huit premiers, l’auditeur est presque toujours [20] confronté à une succession de plages de lecture où les textes sont insituables ; et il lui faut une bonne connaissance préalable des livres de Tortel pour déceler la différence entre séquences homogènes où s’enchaînent des poèmes pris dans un même recueil [21] et séquences hétérogènes qui associent sans précision aucune des poèmes tirés d’ouvrages temporellement distants [22]. Seules les différences stylistiques, métriques, prosodiques entre textes anciens et textes plus récents peuvent parfois alerter. Au mieux l’attention portée au dialogue encadrant permet de supposer l’origine du fragment lu[23], au pire, l’entour conversationnel risque de conduire à des hypothèses de localisation hasardeuses [24]. Bref, les lectures, aussi peu attentives à la chronologie de l’œuvre que les échanges dialogués, donnent le plus souvent à entendre une sorte de continuum verbal achronique que l’on pourrait nommer d’un singulier unifiant le texte tortellien.
C’est qu’il ne s’agit pas de suivre pas à pas la lente conquête d’une écriture personnelle peu à peu débarrassée de ses scories lyriques. Les entretiens cherchent à approcher dans sa globalité une poésie qu’ils envisagent dans sa réalité matérielle de chose écrite avec ses choix formels, ses thèmes récurrents, et surtout son lexique de prédilection qui, au-delà d’une thématique, impose quelque chose comme une poétique du regard désirant. Le besoin d’opposer des limites à l’illimité menaçant dont l’une des figures les plus inquiétantes est l’orage « déchirure du cosmos », « catastrophe cosmique » qui abolit la parole (2) ; le vers, « phrase concrète », tracé noir sur le blanc, « unité verbale » irréductible à une unité conceptuelle, syntaxico-sémantique, et, pour cela même, souvent coupé de façon « arbitraire » (4) ; le point final de poème toujours maintenu malgré une tendance marquée à la déponctuation (ibid.) ; et, récurrentes au fil des émissions, les notions clés de « regard », « renversement », « image » et « figure », « qualification », « transparence » et « opacité », « retournement » (qui permet de penser l’écriture poétique par analogie avec le travail de la bêche du jardinier ou de l’ouvrier de quelque chantier archéologique), voilà de quoi parlent les interlocuteurs, voilà ce que les lectures donnent à entendre. Une poésie où le regard sur le monde est inséparable du regard critique sur le texte. Une poésie qui contient sa propre poétique, dont les listes de mots qui surgissent de loin en loin dans les quatre premières émissions constituent une sorte de condensé – mieux, de précipité. Le procédé semble importé du quatrième entretien avec Liliane Giraudon qui s’ouvre par une liste de neuf substantifs et deux infinitifs tirés du vocabulaire tortellien : « Limites, définition, paysage, jalon, corps, lyrisme, ligne, tombe, terrasse, ouvrir, tracer ». Mais d’une liste aux autres il y a des nuances. Les mots retenus comme embrayeurs et objets de l’« Interview sauvage [25] » dactylographiée appellent la glose, le poète commentant tour à tour chacun d’eux. Les listes des entretiens radiophoniques, outre qu’en leur pluralité elles jouent un rôle de ponctuation rythmique dont la liste unique est dépourvue, fonctionnent plutôt sur le mode de l’écho ou de la résonance. Fondées sur le principe du démontage-remontage, elles rassemblent en effet des mots ou expressions surgis au fil des échanges et/ou empruntés aux textes qui ont été lus ou vont l’être. Ainsi la liste : « Blanc, rectangle, flux, opacité, limite, renversement de ça, qualification » croise-t-elle dans le troisième entretien des termes prélevés dans l’incipit d’un poème d’Instants qualifiés « Lit blanc rectangle » et d’autres pris dans les propos tenus par Tortel (« nous recevons les images de l’objet, et là nous ne savons pas quoi en faire, parce que c’est un flux » ; « Il y a donc un premier renversement du monde extérieur, enfin du là-devant, du ça » ; « Il s’agit d’opérer une qualification » ; « Ces séries d’objets que nous appellerons poèmes […] on les constatera, et nous ne pouvons les constater que sur le blanc que précisément leur opacité infirme » [26]). Objets sonores, objets verbaux, nés d’une désarticulation des dialogues et de certains poèmes lus, les listes soulignent bien les notions clés de l’univers de Tortel mais elles les saisissent dans le décousu qui leur est propre, favorisant ainsi l’exposé d’une poétique en fragments ou en éclats.
Sans doute le décousu, dont les listes de vocables pourraient être l’emblème, est-il favorisé par le genre même de l’entretien, plus souple, surtout lorsqu’il est improvisé ou semi-improvisé, que ne l’est un exposé didactique. Mais dans le cas particulier des entretiens de 1976, la discontinuité voire la disparate s’impose avec une force toute particulière. Les émissions, ouvertes par un générique minimal mis en voix par Michèle Cohen : « Entretiens avec Jean Tortel. Une émission de Joseph Guglielmi, avec la participation de Liliane Giraudon », sont significativement dépourvues de titre propre qui dégagerait une ligne directrice. Les seuls entretiens dont l’unité thématique soit immédiatement perceptible sont les septième et huitième consacrés aux Cahiers du Sud et, dans une moindre mesure, les neuvième et dixième qui ont pour principal objet les lectures nourricières : Scève et les lyriques du premier xviie, surtout. Dans une moindre mesure, car la dixième émission, ouverte, dans la continuité directe de la neuvième, par des considérations sur le lyrisme préclassique, en vient bientôt à l’évocation de la courbe personnelle d’écriture et au rappel de la première rupture marquée en 1946 par Paroles du poème, avant de glisser à la conception de la littérature élaborée par Tortel dans son essai de 1965, et de se clore par la citation d’un assez long fragment de l’entretien avec Liliane Giraudon sur la littérature comme contre-pouvoir. Ce caractère buissonnier se retrouve dans la conduite de bien d’autres émissions qui, au lieu de choisir à chaque fois un angle d’approche aisément identifiable et qu’un titre pourrait résumer (par exemple les partis pris éthico-poétiques, les thèmes de prédilection, les moyens rhétoriques), privilégient les bifurcations libres du cheminement conversationnel.
Quand il consigne dans son Cahier du moment les impressions nées de l’écoute de la série : « Ce fut embroussaillé, piétinant, parfois jaillissant ; non ordonné ni monotone, pas ennuyeux sans doute », c’est sur ce décousu, ce relatif désordre de l’ensemble que Tortel fait porter l’accent. D’où l’identification des entretiens-feuilletons à « un assez satisfaisant brouillon de ce qui aurait pu être dit » [27]. Cet aspect « brouillon » toutefois doit-il être imputé à la seule idiosyncrasie du producteur ? À en croire Tortel, « Jo et la netteté, ça ne va pas ensemble [28] » ; mais il n’est pas sûr que ce divorce ne relève pas d’un refus plutôt que d’une impuissance. Après avoir entendu un certain nombre d’émissions, Luc Decaunes, poète, ami de longue date de Tortel et, à l’occasion, critique de son œuvre, avoue certes une certaine déception devant le manque de souci « didactique », la tendance à « faire de l’ombre là où l’auditeur aurait peut-être besoin de lumière » en raison de la difficulté de la matière traitée, mais il se reconnaît aussi vivement « intéressé » par la multitude d’aperçus sur la poésie et la poétique tortelliennes, et séduit par l’« aspect “montage”, “ensemble poétique” » [29] de ce qu’il a entendu. « Poétique », tel est donc l’effet que la construction particulière des émissions est susceptible de produire sur un auditeur lui-même poète. Il n’est pas exclu que Guglielmi y ait pensé. Cela n’implique pas pour autant qu’en construisant la série d’entretiens comme un « montage » parfois abrupt de dialogues, de lectures, de listes de titres et de vocables, de bruitages et de musique, il ait souhaité, lui producteur occasionnel, renouveler le genre de l’entretien radiophonique. Il se pourrait bien, en revanche, que ce choix formel, favorisé par la pente naturelle du maître d’œuvre, ait eu pour intention de manifester dans l’espace de la radio l’intrication du souci critique ou théorique et de l’écriture poétique si caractéristique des années 1960-1970 au cours desquelles la critique, en certaines de ses formes nouvelles, s’est voulue création à part entière [30] tandis que la poésie a revendiqué son rapport à la réflexion technique, au propos théorique, son inquiétude quant aux formes et à la langue, jusqu’à se redéfinir en s’incarnant dans des textes parfois bien éloignés de ce que l’on avait coutume de désigner par son nom. Plus de dérive onirique ni de défilé d’images à la manière surréaliste, et foin du « réalisme sans frontières » ou du retour à la tradition nationale d’Aragon et des aragoniens : la poésie expérimente du côté du vers, de la typographie, des divers procédés de réécriture empruntés aussi bien au Cendrars de Documentaires qu’aux objectivistes et aux poètes beat américains. Elle se réinvente au point que certains se demandent s’il est encore nécessaire de recourir à son vieux nom pour désigner les nouvelles productions textuelles. Cofondateur de Manteia, collaborateur d’Action poétique et de Change, Guglielmi, par ses interventions critiques et poétiques autant que par ses traductions – de Pound, en particulier –, prend une part active au débat d’alors sur la notion de poésie. Que celle-ci soit, pour lui comme pour d’autres acteurs du champ, devenue à tout le moins problématique [31], cela se révèle, dans la lettre du 1er juin 1976, par l’emploi des guillemets qui, soulignant le mot, viennent en fissurer le sens préétabli et faire peser quelque soupçon sur l’ensemble de clichés qu’il traîne dans son sillage.
Les entretiens reviennent d’ailleurs sporadiquement sur les transformations de l’idée de « poésie » survenue dans la décennie précédente. Par exemple quand, interrogé par Guglielmi sur son statut de « poète », Jean Tortel revendique cette dénomination que certains récusent comme une « étiquette gênante » en soulignant qu’elle reste acceptable à condition que la poésie soit désacralisée et rendue à sa nature de simple poiein « hors de toute métaphysique » (1) ; ou quand il affirme qu’« à l’heure actuelle, bien sûr, tout constat relatif à l’action de la poésie semble être critique » et que, la « valeur spatiale du texte » étant plus importante désormais « que ce qu’on appelait au temps du symbolisme ou du romantisme sa valeur musicale », le poème, « avant tout visible », conçu comme une chose matérielle, cesse, de ce fait, d’être entouré d’« une espèce d’aura, de sacralité » (6). Guglielmi n’est pas en reste. Dans son désir de démythifier la poésie, il s’en prend à la notion de « création », allant jusqu’à tirer argument de l’évocation des Villes ouvertes, ouvrage né, pour partie, d’un processus de réécriture, pour affirmer de façon péremptoire : « la poésie ce n’est pas faire, c’est refaire » (6), comme si le recours à l’étymologie (poiein, faire) était insuffisant, « faire » étant encore trop proche de « créer » pour garantir contre toute dérive sacralisante. Aussi dispersées soient-elles, aussi incidentes puissent-elles paraître, ces remarques finissent par alerter l’auditeur éclairé et lui faire comprendre que les interlocuteurs, se refusant à « prendre la “Poésie” dans son sens le plus traditionnel, [à savoir] métaphysique », entendent travailler à « l’opération de désacralisation » [32] en cours.
Selon Pierre-Marie Héron, une série d’entretiens-feuilletons doit « aller quelque part, avoir une direction, suivre un ordre de marche [33] ». Si, à première écoute, il n’est pas très facile de voir où vont les dix émissions produites par Guglielmi, une fois abandonné le projet chronologique initial qui devait conduire à évoquer « l’actualité de Jean Tortel », une attention plus aiguë à des éléments épars permet de saisir une intention sous-jacente. En un temps où Tortel a vu ses deux derniers livres refusés par Gallimard, refus qui peut s’interpréter comme l’indice ou l’amorce d’un désengagement des grandes maisons d’édition en ce qui concerne la poésie – celle du moins où s’inscrit l’élan plus ou moins expérimental qui s’est intensifié depuis les années soixante –, il importe pour les interlocuteurs de réaffirmer que la poésie ne peut s’identifier aux préjugés sur ce qu’elle est ou doit être, qu’elle ne peut se réduire aux clichés tenaces hérités du romantisme et du surréalisme. Ainsi les entretiens de 1976, défense et illustration d’une poésie désacralisée qui ne serait plus ni parole inspirée ni lyrisme effusif, mais geste critique, et qui ferait passer le souci graphique avant la préoccupation musicale, n’ont-ils pas seulement offert aux interviewers l’occasion de manifester leur estime envers une œuvre trop confidentielle ; ils leur ont permis de se situer eux-mêmes dans le champ poétique tout en y situant leur invité. Sans doute l’absence de parti pris didactique a-t-elle pu brouiller le propos pour un auditeur non averti. Mais il est peu probable que les acteurs du champ s’y soient trompés. Jean-Max Tixier en tout cas a bien reçu l’annonce de leur diffusion comme une prise de parti. Avant même d’en avoir entendu le premier mot, il écrit à Jean Tortel :
[…] la mise en évidence, dans une émission de radio, d’une personnalité comme la vôtre est précieuse en un moment où, sur plusieurs fronts, on assiste à un mouvement de reflux au profit de conceptions passéistes et idéalistes. C’en est au point que – la politique mercantile de l’édition aidant – semble compromise une partie des résultats acquis au cours des deux dernières décades [34].
Les dix émissions ont donc bien été perçues – au moins par certains – comme art poétique (en ligne brisée) et manifeste (oblique). Tortel lui-même les appréhende avant tout comme « brouillon de ce qui aurait pu être dit ». Esquisse d’une autre série radiophonique, idéale, qui n’existera pas ou inévitable approximation de la parole qui, à la différence de l’écriture, est inséparable de « toutes sortes d’inexactitudes, d’inachèvements etc. [35] ». Mais aussi, par la confrontation réitérée qu’elles opèrent entre dialogues et lectures, vérification de l’opposition chère au poète des Jardins entre parole (« floculation », « dispersion ») et écriture (« parole “prise”, coagulée, formée » [36]). Il y a donc brouillon et brouillon. Pour Jean Tortel celui que forment ces entretiens, « authentifi[és] » en quelque sorte par leur pouvoir de vérification, se révèle, somme toute, « assez satisfaisant ».
Notes
[1] Jean Tortel, Cahier jaune, p. 134. Archives privées.
[2] Datée du 1er juin 1976, elle figure dans le fonds Jean Tortel de la bibliothèque Jacques Doucet (désormais FJT). Non coté.
[3] Pour le parcours d’Alain Veinstein voir son livre, Radio sauvage, Paris, Seuil, « Fiction & Cie », 2010.
[4] Jean Tortel, Cahier jaune, p. 146.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 147.
[7] Ces enregistrements, du 1er et du 19 mai 1976, donneront lieu à cinq émissions de 25 minutes diffusées du 4 au 8 octobre 1976 à partir de minuit.
[8] Son premier livre, Têtes ravagées : une fresque, paraît en 1979 aux éditions La Répétition.
[9] Définition du journaliste professionnel (Code du travail, article L7111-3) citée par Marie-ève Thérenty, La Littérature au quotidien, Paris, Seuil, « Poétique », 2007, p. 12.
[10] Trace de ces émissions, un ensemble de dactylogrammes qui comprend notamment une série de dialogues avec le poète Alexandre Toursky. Archives privées.
[11] En particulier Les Cahiers du Sud auxquels il a régulièrement collaboré de 1938 à 1966, Critique et Action poétique.
[12] L’Amour unique de Maurice Scève, introduction à une anthologie de dizains de Délie, Lausanne, Mermod, 1961 ; Guillevic, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1963 ; Clefs pour la littérature, Paris, Seghers, « Clefs pour », 1965.
[13] Limites du regard est ainsi chroniqué par Guglielmi dans La Quinzaine littéraire en mai 1972, le mois même où passe dans Le Monde l’article de Raymond Jean sur ce même recueil, ce qui conduit Tortel à noter avec satisfaction dans le Cahier vert « Le Monde et La Quinzaine littéraire en même temps c’est assez bien » (p. 99).
[14] Alain Bosquet, recension de Limites du regard, La NRF, n° 230, 1972, p. 83-84.
[15] Il s’agit de l’émission diffusée le lundi 13 août 1973 de la série Les Nouveaux Livres de poésie (France Culture 1971-1974).
[16] Diffusé le 19 septembre 1973 sur la 3e chaîne à minuit.
[17] Jean Tortel, « Vendredi 31 [mars 1972] », Cahier vert, p. 95. Archives privées.
[18] Les références désormais dans le texte sous la forme (1) pour première émission, (2) pour deuxième émission etc.
[19] Il s’agit de fragments de romans populaires rappelant l’intérêt que Tortel a porté à ce genre littéraire méprisé, de poèmes du xviie siècle, de dizains de Scève, d’emprunts à Mallarmé, ou, dans les deux émissions Cahiers du Sud, de poèmes et fragments de textes réflexifs tirés de l’abondante collection des numéros de la revue ou empruntés aux livres publiés par ceux qui sont passés à Marseille et aux Cahiers durant les années noires de l’Occupation. Sans oublier les collaborateurs réguliers des Cahiers, tels Joë Bousquet, Gabriel Audisio, ou ceux, Gérald Neveu, Jean Malrieu, Henri Deluy, qui, sans cesser de donner notes critiques et poèmes en prépublications à la revue de Ballard, ont éprouvé, dans les années cinquante et soixante, le besoin de se regrouper pour faire vivre parallèlement une autre revue, Action poétique.
[20] Une exception notable toutefois dans le cinquième entretien où le chapeau introductif suivant : « Dans ces Villes ouvertes voici un texte qui s’appelle “Passages d’Hérodote” et qui est une espèce de montage de textes pris dans les Histoires d’Hérodote » précède la lecture du poème.
[21] Par exemple trois poèmes de Naissances de l’objet ou six des Instants qualifiés.
[22] Voir la toute première plage de lecture qui fait se succéder un fragment de « Passages d’Hérodote » tiré du recueil charnière de 1965, Les Villes ouvertes, un extrait de « La rose en sa ténèbre » emprunté à un livre plus ancien de dix ans, Naissances de l’objet, et deux strophes d’un poème pris dans le premier volume édité par Mermod, Explications ou bien Regard (1960).
[23] Par exemple en reliant la lecture par Michèle Cohen du poème « Le rose attristé… » à la déclaration ultérieure de Tortel « Je ne peux pas parler de mes premiers essais, de mes premiers livres qui ne sont que des gammes » pour poser l’hypothèse qu’il s’agit là d’un poème de jeunesse, ce qui est exact, ces vers étant extraits du premier recueil, Cheveux bleus, paru en 1931 aux éditions Messein.
[24] Le long fragment final où Jean Tortel présente la littérature comme un « contre-pouvoir » risque ainsi, à la lumière des échanges immédiatement précédents sur Clefs pour la littérature, d’être pris par l’auditeur pour un extrait de cet essai alors qu’il s’agit d’une citation du premier entretien avec Liliane Giraudon.
[25] Tel est le titre du quatrième entretien avec Liliane Giraudon.
[26] Je souligne. Parmi les listes, les unes puisent toute leur matière dans un seul poème comme le fait, dans le quatrième entretien, la liste « Étioler, étoiler, cœur, corps, bougie, bouger » dont tous les termes sont tirés du petit poème d’Instants qualifiés « Étioler le désir / Ou l’étoiler. // Au cœur du corps / La lueur bouge // Bougie de suif », que Tortel lit à l’ouverture de l’émission et que le dialogue glose dans les premières minutes. D’autres, ignorant les lectures, puisent leurs composantes au fil des seuls propos de Tortel et de ses interlocuteurs.
[27] Notes du « Samedi [6 novembre 1976], Cahier jaune, p. 162.
[28] Notes du « Lundi 14 [avril 1975] », ibid., p. 63.
[29] Luc Decaunes, lettre à J. Tortel du « Vendredi 12 XI 76 », FJT.
[30] Voir les remarques de Tortel dans Clefs pour la littérature, Paris, Seghers, 1965, rééd. 1977, p. 98-99.
[31] On se souvient que Denis Roche l’a prétendue « inadmissible » dans un texte célèbre, dont Manteia a publié un extrait dès 1968 (n° 4, p. 8-18).
[32] Jean Tortel, « Vendredi 18 [décembre 1970] », Cahier vert, p. 15.
[33] Pierre-Marie Héron, « Introduction », Écrivains au micro. Les entretiens-feuilletons à la radio française dans les années cinquante, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2010, p. 11.
[34] Jean-Max Tixier, lettre à J. Tortel du 28 octobre 1976, FJT.
[35] Jean Tortel, « 29 8bre [1976] », Cahier jaune, p. 160.
[36] Ibid.
Auteur
Catherine Soulier est maître de conférences à l’université Paul Valéry-Montpellier, membre du centre de recherche RIRRA21. Elle travaille sur la poésie des xxe et xxie siècles (redéfinitions et mise en cause du « genre » ; polémiques autour du lyrisme ; interactions entre poésie et arts visuels).
Sur Jean Tortel, elle a publié divers articles, organisé deux colloques qui ont donné lieu à deux volumes collectifs (Jean Tortel l’œuvre ou vert, Université Montpellier 3, 2001 et Relire/relier Jean Tortel, Supplément Triages, 2012). Elle a également fait paraître un essai, Jean Tortel. Des livres aux Jardin, Champion, 2013.
Copyright
Tous droits réservés.